Devenu aveugle à 48 ans, John Hull a tenu pendant trois ans le journal de son glissement vers la cécité. Réédité aujourd’hui, l’ouvrage se lit comme un récit de voyage singulier et lumineux.
Rien ne prédisposait John Hull à devenir explorateur. Enfant fragile, il fut dès sa naissance, en 1935, victime d’ennuis de santé qui le clouèrent des mois entiers sur un lit d’hôpital, puis n’allèrent qu’en s’aggravant avec les années : d’abord un eczéma dévorant qui couvrit son corps de plaies à vif, puis très vite de l’asthme et enfin une sévère cataracte tardivement diagnostiquée. Cette dernière, maladie dégénérescente de la rétine, lui fit perdre l’usage d’un premier œil à 17 ans, du second près de trente ans plus tard, le plongeant définitivement dans l’obscurité.
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En 1983, alors que la “dernière perception de lumière s’est éteinte”, effaçant les sourires et la silhouette de sa femme et de ses enfants, Hull, devenu professeur de théologie à l’université de Birmingham, commence à compiler des notes sonores enregistrées sur cassettes audio. Pour raconter son aller simple en cécité autant que pour ne pas sombrer dans le désespoir. Pendant trois ans, il chronique ainsi son voyage “par-delà la lumière et les ténèbres”, se faisant l’explorateur d’un monde où même la couleur des rêves s’estompe.
Une épopée lumineuse
Le 16 septembre 1983, il dit : “Ma famille, mes proches et moi cherchons notre chemin. Nous sommes abandonnés, de plus en plus coupés du monde. Nous sommes immobiles, gorgés d’eau. Je suis entraîné vers quelque chose d’inimaginable d’où l’on ne revient jamais. Un univers va disparaître. Celui vers lequel je me sens sombrer avec mes proches va nous engloutir. Il n’y a pas de retour. La cécité est permanente et irréversible.”
De ces notes dictées et intimes, Hull a tiré un récit fascinant. Publié en 1990, qualifié de “chef-d’œuvre” par le neurologue Oliver Sacks qui en signa la préface, Vers la nuit a été traduit une première fois en 1995 et même adapté en documentaire l’année dernière. Devenu introuvable, il est réédité aujourd’hui dans une traduction dépoussiérée. Le résultat est une épopée lumineuse – quelle ironie ! – qui retrace les étapes de l’auteur sur le chemin de l’acceptation et de la domestication de son handicap.
Une aventure intérieure
De moments d’abattement en instants de grâce, de confidences bouleversantes en révélations curieuses, Hull découvre l’univers des aveugles en même temps qu’il nous y guide. Quel voyant pourrait en effet se douter du malaise qu’il y a à sourire alors que l’on ne peut pas voir la réaction sur le visage en face ? Comment savoir qu’une “belle journée” pour un non-voyant n’est pas un jour de soleil et de ciel bleu, mais de grand vent et d’orage, quand les feuilles bruissent et que la terre exhale des odeurs ? Comment deviner qu’à force de ne plus voir, on finit par oublier même la calligraphie du chiffre 3 ?
Sensible, touchant, parfois même drôle, Vers la nuit se fait aussi mystique quand, pour John Hull, l’aventure devient intérieure et que la religion lui montre la voie de l’espoir, du courage et de la lumière : “Si un voyage dans la lumière est un voyage en Dieu, un voyage dans les ténèbres est un voyage en Dieu. C’est pourquoi je continue de voyager, non à travers, mais au-dedans.” Amen.
Vers la nuit (Editions du Sous-Sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Donatella Saulnier et Paule Vincent, 224 pages, 19 €
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