Booker Prize 2014, le nouveau roman de Richard Flanagan, La Route étroite vers le nord lointain, questionne l’identité et ses mirages, sur fond de Seconde Guerre mondiale.
La démonstration de son inventivité et de sa virtuosité, Richard Flanagan l’a faite il y a quinze ans. Bien que se déroulant sur une île pénitentiaire, son turbulent troisième roman – Le Livre de Gould – était aussi difficile à enfermer dans une identité fixe que l’était son héros, un faussaire à l’âme “engagée dans un constant processus de décomposition et de réinvention”.
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La décomposition (des sociétés et des corps) et la réinvention (des identités) sont à nouveau au cœur de La Route étroite vers le nord lointain, roman historique dont le personnage central ne cesse de s’inspirer de Don Quichotte et de l’Ulysse du poète victorien Tennyson. Soit d’hommes qui, leur vie durant, ont pour ambition cardinale de prendre le large.
La foire aux chimères
Sous les bambous, les ossements – durant la construction de quatre cents kilomètres d’une voie ferrée reliant la Thaïlande de la Birmanie, quinze mille esclaves de guerre australiens, anglais, hollandais et américains trouvent la mort en 1943.
Parmi les survivants de cet enfer – dont Le Pont de la rivière Kwaï donna aux baby boomers une vision très édulcorée – se trouve un médecin militaire, le colonel Dorrigo Evans. Idole des hommes qu’il galvanise, ampute et enterre – il est à leurs yeux le Big Fella, incarnation charismatique de la virilité –, Dorrigo a d’autant plus besoin de leur regard flatteur qu’il est à ses propres yeux un imposteur.
Son diagnostic sur la condition humaine – “seule notre foi dans des chimères rend la vie possible” – se réfracte à travers le livre entier : chimère du dévouement à l’empereur pour des Japonais criminels de guerre, chimère du statut social pour un notable dont la respectabilité repose sur une litanie de faux-semblants, chimère de l’amour pour des couples bâtis sur le mensonge.
Scepticisme et foi dans la fiction
En mettant ces questionnements au cœur d’un livre dont le souffle et l’ampleur évoquent les fresques romanesques du XIXe siècle, Flanagan affiche simultanément son scepticisme fondamental et sa foi absolue dans les pouvoirs de la fiction.
Avec ses constants glissements d’une période et d’une conscience à une autre, ses rebondissements minutieusement agencés et ses trésors d’ironie dramatique, La Route étroite vers le nord lointain fait de ses propres mutations le miroir de celles, incessantes, que subissent ses personnages.
La Route étroite vers le nord lointain (Actes Sud), traduit de l’anglais (Australie) par France Camus-Pichon, 432 pages, 23 €
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