L’écrivain britannique V. S. Naipaul est décédé à Londres samedi 11 août à 86 ans. Même s’il fut l’auteur d’une œuvre importante, ses prises de position sur le monde postcolonial ont toujours déclenché la polémique.
“Nous avons été en désaccord toute notre vie, sur la politique, sur la littérature, et je me sens aussi triste que si je venais de perdre un frère aîné bien-aimé.” Ainsi, sur Twitter, Salman Rushdie a-t-il commenté le décès, samedi, du prix Nobel Vidiadhar Surajprasad Naipaul, comme lui écrivain britannique d’origine indienne. Et sa phrase résume l’ambiance qui entoure la disparition de l’auteur de Miguel Street (1959) : entre reconnaissance et circonspection. En cause, ses prises de position polémiques mais aussi sa misogynie et son arrogance.
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Il était né en 1932 à Trinité-et-Tobago, au sein d’une famille pauvre hindoue. Son père, journaliste d’un quotidien local, avait publié un recueil de nouvelles. Son fils, excellent élève, a bénéficié d’une bourse pour aller étudier à Oxford. En 2001, dans son discours de réception du Nobel, le romancier n’a même pas mentionné son île natale. C’est bien cette distance, cette liberté par rapport à ses origines, qui interpelle chez lui. Naipaul n’a cessé de réfléchir à ses racines et à la condition des exilés, sans pour autant se laisser enfermer dans une identité et en refusant toute nostalgie. Les jurés suédois l’avaient d’ailleurs salué comme un “circumnavigateur littéraire” qui ne se trouvait vraiment chez lui qu’en lui-même.
Ainsi, Naipaul a concentré deux préoccupations modernes : l’exil perçu comme un état permanent et le brouillage des genres littéraires. Il a souvent gommé les frontières entre autobiographie, essai, enquête journalistique, carnet de voyage, roman et nouvelle. Un de ses premiers livres, Une maison pour monsieur Biswas (1961), inspiré de la vie de son père, montrait les difficultés d’un homme pour se construire hors de son pays d’origine. A la courbe du fleuve (1979) décrit l’Afrique postcoloniale par les yeux d’un émigré indien. Jusqu’au bout de la foi (1998) racontait son périple dans des pays musulmans non arabes, Iran, Pakistan, Indonésie et Malaisie. Il accusait alors l’islam d’agir comme une sorte de force coloniale qui éliminerait les autres cultures locales.
Une personnalité qui pouvait irriter
Aussi, même si on a pu le comparer à Joseph Conrad pour la puissance de son écriture, son travail a souvent posé problème. Rushdie l’accusait de soutenir le nationalisme indien et d’attiser là-bas la haine envers les musulmans. On lui a reproché son regard trop occidental sur les sociétés postcoloniales. “Il ne s’intéressait pas du tout au tiers-monde”, a asséné Edward Saïd, fondateur des postcolonial studies, estimant que Naipaul rendait les non-Blancs responsables de tous leurs problèmes.
Sa personnalité elle-même a irrité. Pour les journalistes, interviewer Naipaul était une expérience éprouvante. Le Telegraph India se souvient de Naipaul faisant appeler un taxi pour ramener une jeune femme à la gare car il estimait qu’elle ne connaissait pas assez bien son travail. Son attitude à l’égard des femmes a souvent été un sujet polémique. Une biographie a mis à jour la violence, psychologique ou physique, dont il a usé envers sa femme ou sa maîtresse, et Naipaul a pu se montrer en public d’une misogynie décomplexée, affirmant un jour à propos des écrivaines : “Leur travail n’est pas égal au mien.”
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