La documentariste et écrivaine nous plonge dans le procès intenté contre elle autour de son dernier livre, “L’Effet maternel”, en 2020. Et c’est passionnant.
Ah, la famille, haut lieu de l’amour, de la chaleur, de la solidarité… c’est ironique, bien sûr. Surtout quand on lit le nouveau livre de Virginie Linhart. Écrivaine et réalisatrice de documentaires, Linhart s’était fait remarquer en 2008 en publiant Le Jour où mon père s’est tu, un texte fort consacré à son père, Robert Linhart, figure de proue des mouvements révolutionnaires de Mai 68. En 2020, alors qu’elle s’apprête à publier L’Effet maternel, un livre en partie consacré à sa mère, rien n’est aussi simple.
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L’Effet maternel entremêle deux histoires, celle de sa mère et la sienne en tant que mère. Quand elle est enceinte, Virginie Linhart est quittée par le futur père, qu’elle appelle “E.”, sans qu’il cherche à la revoir ou à connaître l’enfant qu’elle porte. Plutôt deux enfants, des jumelles, dont une seule survivra. Ces parcours maternels entrelacés se mêlent en un labyrinthe au cœur duquel se cache un monstre : la mère de l’autrice et son ex-compagnon, E., n’ont jamais cessé de se fréquenter, voire d’être ami·es.
Amour et désamour
C’est ce lien incompréhensible, qui ressemble fort à une trahison de la mère envers sa fille, que Linhart explore dans L’Effet maternel en 2020. Mais on apprend ici que juste avant sa parution, son éditrice, la talentueuse Alix Penent, a informé Linhart que sa mère et E. s’étaient ligué·es pour exiger des coupes drastiques de son livre. Si nombre d’écrivain·es ont été confronté·es à ce type d’injonctions (accusé·es d’atteinte à la vie privée), si les limites évidemment poreuses entre réalité et littérature, entre personnes réelles et leur double dans des romans ou des récits, ont toujours fait couler beaucoup d’encre, c’est la première fois qu’une autrice entreprend de raconter toute l’affaire et les minutes du procès qui s’est ensuivi, en y consacrant un livre entier.
Une sale affaire est un texte passionnant, qui expose et décortique un cas d’école qui l’est tout autant. S’y posent les questions de la loi, de la morale, du droit et du devoir, du pouvoir de la littérature, de la mémoire, de la liberté de parler ou des dangers qu’il y a à se taire, de la volonté de réduire l’autre au silence, le tout sous-tendu par cette question essentielle au cœur de tout récit : à qui appartient l’histoire, et à qui appartient le droit de l’écrire ? Se rejoue en filigrane l’onde de choc de Mai 68 sur les enfants de cette génération de libertaires qui y ont activement participé.
Dans ses films et ses livres, Linhart n’a jamais cessé de fouiller cette enfance contaminée par l’idéologie de la révolution sexuelle qui, souvent, sexualisait ou négligeait les enfants beaucoup trop tôt. Elle ne juge ni ne condamne ; elle interroge un contexte, montrant comment personne n’échappe à son temps ni à la société dans laquelle il ou elle vit. Reste le troisième invité du livre : une tragédie. Celle, vieille comme le monde, de l’amour et du désamour. À la fin, on verra apparaître le leitmotiv de tout le livre : l’anatomie d’une chute, vertigineuse.
Une sale affaire de Virginie Linhart (Flammarion), 224 p., 21 €. En librairie le 3 janvier.
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