Que reste-t-il, vingt ans après, d’un séjour comme coopérant en Tunisie ? L’auteur de Norfolk, Fabrice Gabriel, signe un texte virtuose et érudit.
On s’en souvient peut-être, ce que l’on a appelé le printemps arabe a commencé en janvier 2011 à Sidi Bouzid, petite ville anodine du centre de la Tunisie. Un jeune vendeur ambulant venait de mourir après s’être immolé par le feu, désespéré que les autorités lui aient confisqué sa marchandise. Et le pays entier s’était soulevé.
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Quelque temps plus tard, dans une chambre d’hôtel à Trouville, un insomniaque lit dans un journal un long article rappelant les faits. Les noms des lieux l’interpellent et il n’en dort pas de la nuit. La Tunisie, il y a vécu, vingt ans auparavant.
Des réminiscences faites de sensations, de couleurs et d’atmosphères
Un fil ténu, des souvenirs, et le texte de Fabrice Gabriel se déroule, comme une variation musicale. L’auteur aime nous emporter. En 2006, dans Fuir les forêts, il nous invitait dans la région de son enfance, pas très loin de la frontière allemande. Norfolk en 2010 se déroulait à New York.
Aujourd’hui, il nous propose quelques fragments tunisiens. Car dans son hôtel à Trouville l’homme au prénom désuet, Janvier, n’en finit pas de revenir à 1990. A l’époque, le service militaire existait encore, il était parti comme coopérant et avait atterri à Sidi Bouzid. Les quelques mois passés là-bas, dans une sorte d’envers du décor, constituent dans sa vie une parenthèse teintée d’étrangeté.
Ce personnage, Fabrice Gabriel l’a placé immobile au centre de son livre. Autour de lui la Terre tourne, les événements se répondent et le temps a passé. L’auteur n’a pas choisi une narration à la première personne, il observe et tisse autour de Janvier des réminiscences faites de sensations, de couleurs et d’atmosphères, assemble patiemment les moments épars de sa vie.
Un beau texte tout à la fois éclaté et dense, érudit
Aux images heureuses de la découverte des paysages se mêle une peur sourde, car la première guerre du Golfe éclate quelques jours après l’arrivée du jeune homme. Mais l’auteur nous en dit peu sur son personnage et ne fait pas de psychologisme, il nous donne à le découvrir.
Le lecteur s’immerge dans ce beau texte tout à la fois éclaté et dense, érudit. Janvier cherche dans les livres des échos à ce qu’il perçoit, transformant son vécu en une expérience littéraire. A la déambulation dans la mémoire de son personnage, Fabrice Gabriel mêle des extraits de journal ou de correspondance d’écrivains et d’artistes, Gustave Flaubert ou Paul Klee. Eux aussi sont un jour passés par la Tunisie, et ils en ont été bouleversés.
Une nuit en Tunisie de Fabrice Gabriel (Seuil), 208 pages, 17 €
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