On les dit « jackys », « ringards » ou encore « immatures » : les fous de tuning sont souvent mal vus. Pourtant, les meetings s’apparentent plus à des rassemblements d’experts qu’à des salons de l’esthétique. La journaliste Stéphanie Maurice s’est immergée dans cet univers peu connu.
« On les imagine dépenser toute leur paie pour leur voiture, délaissant femmes et enfants » : les clichés sur le tuning, tout le monde les connaît. La journaliste Stéphanie Maurice a cherché à balayer ces idées préconçues dans un livre. Son nom ? La passion du tuning (éd. Seuil), un reportage drôle et touchant à la fois, qui décrypte cette passion pour « la personnalisation automobile ».
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Pendant plus d’un an, Stéphanie Maurice a enchainé les meetings et les rassemblements, ou « rassos » du Nord-Pas-de-Calais, la région où elle vit. Jointe par téléphone, elle explique sa démarche :
« C’est un travail que j’ai fait avec des armes de journaliste. Le tuning est un monde qui est juste à côté de nous, mais totalement inconnu pour beaucoup. C’est comme si un rideau s’était levé et que j’avais plongé dans un monde parallèle. Je voulais montrer leur univers avec respect, tout en montrant aussi leurs travers. »
Balayer les clichés
Néons fixés sous la caisse pour mieux en jeter la nuit, flancs tatoués, et grosses cylindrées, le tuning explose en France à la suite du premier Fast and Furious (2001). Le soir venu, les « rassos » occupent les parkings des hypermarchés. On s’y retrouve entre amateurs pour échanger bons plans et conseils et passer un bon moment entre potes. Mais au début des années 2000, ces rassemblements dégénèrent en runs sauvages, ces courses de voitures alignées où la plus rapide gagne. « Les préfectures s’inquiètent, craignent des accidents et font intervenir les forces de l’ordre », raconte la journaliste.
Aujourd’hui, le ton a changé. Stéphanie Maurice révèle à quel point « le tuning travaille à se décoller de la peau une mauvaise réputation ». Les tuneurs ne veulent plus être associés à l’image du « Jacky », le mauvais goût à l’état pur. « Ils ont été souvent moqués, ils n’ont plus confiance. Ça été assez difficile de me faire intégrer au départ », explique la journaliste, « Ils en ont beaucoup souffert », ajoute-t-elle.
A tel point que désormais on ne parle plus de tuning mais de « custom » ou de « personnalisation automobile ». L’image du tuneur qui passe son temps à faire des courses-poursuites est un leur. « Il n’y a pas plus précautionneux qu’un tuneur, qui sait le temps passé à réaliser une belle peinture métallisée, et qu’une éraflure met hors de lui », écrit-t-elle.
« Le prolongement de la personnalité »
Que ce soit Patrick, Morgan, Jérôme ou Julien, interrogés dans le livre, tous ont un pied dans le secteur automobile et ont choisi d’allier plaisir et métier. Patrick « ne gagne pas des mille et des cents », il compte son argent, mais pas le temps qu’il y passe. Ces techniciens de l’automobile cherchent à se distinguer par la personnalisation. « Le tuning, c’est le prolongement de la personnalité », reconnaît Morgan, président du club de tuning Team Furtif Car, un des fils rouges de l’ouvrage.
Le week end, les meetings sont l’occasion pour ces passionnés d’admirer d’autres voitures tout en participant aux Tops. « Ces concours bon enfant (le plus souvent) récompensent les tuneurs les plus méritants dans différentes catégories », explique Stéphanie Maurice. De la plus belle trappe à essence au plus beau coffre en passant le Top « tee-shirt mouillé », tout y est. Le plus important reste le Top 20 qui sélectionne les 20 plus belles voitures de l’assemblée.
Betty Boop ou Marilyn Monroe ?
Ici, les mythes et les symboles de la culture populaire mondiale, surtout américaine, sont remixés. Des anges, des fées, Betty Boop ou Marilyn Monroe, chacun créé son univers. Chaque voiture a un thème et y va à fond. Les meetings, c’est aussi l’occasion de se balader en famille, une bière fraiche dans une main, une barquette de frites dans l’autre. Les enfants peuvent faire un tour en voiture, les plus grands assister aux shows des strip-teaseuses.
Stéphanie Maurice raconte une anecdote plutôt drôle à ce sujet :
« Au centre de la pelouse, au cœur de la manifestation, une petite pancarte prévient les parents : l’animation du milieu d’après-midi peut heurter les jeunes sensibilités. Les organisateurs ont demandé à des effeuilleuses professionnelles d’émoustiller l’ambiance, avec un sketch très arrosé et dénudé aux inspirations saphiques. »
Ça fait aussi parti du tuning… la représentation des femmes y est toujours très déshabillée. « C’est une constante du milieu automobile. Mais globalement j’ai trouvé ça plutôt bon enfant. Les hommes jouent les machos, mais en réalité ce sont de vrais cœurs d’artichauts », explique l’auteure au téléphone.
Nouvelles générations : les anti-Jacky
Depuis quelques années, de nouvelles générations de tuneurs apparaissent. Face à un désir de se démarquer de ce tuning « disco » où paillettes et gravures sur verre règnent, les Japan et German Looks prônent la sobriété. Le German Look est réservé aux propriétaires d’Allemandes, Volkswagen en tête. Tandis que les amateurs du Japan Look fantasment sur les designs des mangas.
Les amateurs de ces nouvelles chapelles sont plus jeunes et se disent plus « stylés ». Ces tuneurs rejettent le tuning des premiers temps qu’ils trouvent « ringard ».
Un milieu qui n’échappe pas à la crise
Avec la crise économique de 2009 et la chute des ventes de voitures, le monde du tuning s’effondre. Le Nord-Pas-de-Calais, région ouvrière, possède un taux de chômage de 13%, c’est trois points de plus que la moyenne nationale.
Stéphanie Maurice le prouve : « Dans le Nord-Pas-de-Calais, en 15 ans, le nombre des clubs a été divisé par trois (il en reste une dizaine) ». La presse spécialisée disparaît, les sponsors fuient, et les meetings commencent à être de plus en plus durs à organiser faute de moyen.
« Aujourd’hui, l’affaire se corse : il faut ne pas avoir la même voiture que le tout-venant, et ne pas tomber dans un excès qui vous ferait cataloguer dans l’espèce des Jackys », conclut la journaliste. Quoiqu’il arrive, ces rois de la débrouille et du bricolage trouveront toujours un moyen de faire vivre leur passion. Le tuning a encore de beaux jours devant lui…
La passion du tuning, de Stéphanie Maurice, Ed. Seuil, 112 pages.
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