Des créatures sortent de terre. L’une est adoptée par un humain. Un récit lumineux sur la paternité et le rejet.
Débutant une série prévue en trois tomes, Epiphania est le premier album ouvertement fantastique, voire SF, de Ludovic Debeurme. Après le passage d’un tsunami, d’étranges bébés, mi-humains, mi-animaux, sortent de terre. Ces créatures, appelées mixbodies, vieillissent plus vite que les humains.
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A cause de leur étrange apparence, les mixbodies ne sont évidemment pas acceptés par tout le monde, et la population se déchire. Après hésitation, David, qui a toujours été angoissé à l’idée de devenir père, adopte celui qui apparaît dans son jardin…
Dans ses romans graphiques, toujours exigeants comme le précédent diptyque Trois fils/Un père vertueux, Ludovic Debeurme a sans cesse disséqué les tourments et les obsessions de personnages confrontés à des situations dramatiques (souvent familiales), livrant des récits noirs malgré la poésie et la clarté du dessin.
Un savant mélange d’intime et de fantastique
Ici, sa vision sombre de l’humanité transparaît encore. Autour du père et de son fils adoptif, le monde s’entretue, des hommes cagoulés façon Ku Klux Klan pourchassent les mixbodies, lesquels n’hésitent pas à se venger des humains – difficile de ne pas voir dans cette chasse à l’autre des échos de l’actualité.
A travers le vieillissement accéléré des mixbodies, leur glissement vers l’animal, Ludovic Debeurme reste également fidèle à ses autres grandes thématiques – la transformation des corps, la mutation, le passage malaisé à l’âge adulte – et mêle comme peu d’auteurs savent le faire intime et fantastique.
Alors que la figure du père traverse toute son œuvre, Ludovic Debeurme en livre ici, à travers la puissante relation entre David et son fils, une version moins sombre. Il dépeint parfaitement l’amour inconditionnel qui les lie, à travers leurs regards, leurs dialogues affectueux. Le récit apparaît alors singulièrement lumineux, et ses héros attachants.
Dans Epiphania, la dureté habituelle de son propos est également adoucie par son trait, toujours plus élégant, toujours plus limpide, et par les couleurs tranchées de Fanny Michaëlis qui tonifient l’ensemble. L’auteur emprunte aussi une voie narrative au découpage classique, plus accessible qu’à l’accoutumée, qui permet à Epiphania de gagner en intensité dramatique. Impossible de ne pas se laisser happer par cette histoire troublante, qui s’achève sur un cliffhanger insoutenable. Anne-Claire Norot
Epiphania tome 1 (Casterman), 120 pages, 22 €
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