Dans une bande-dessinée éclairante, Muriel Douru aborde un sujet peu couvert sous cette forme jusque là : la prostitution. Résultat ? Putain de vies ! Une livre qui (re)donne la parole aux concernées.
Il y a Amélie, Nigériane exilée en France. Mais aussi Lauriane, escort girl libérée. Ou encore Giorgia, femme transgenre colombienne et séropositive, qui a dû quitter son pays pour fuir la violence. Toutes se racontent et prennent vie à travers les dessins de Muriel Douru qui publie Putain de vies ! (Ed. La Boîte à Bulles). Une sorte de bande-dessinée-enquête qui aborde une question débattue depuis toujours ou presque : la prostitution. Pour recueillir ces parcours de vie, l’autrice et dessinatrice a participé aux maraudes des associations Médecins du monde et Paloma dédiées aux travailleur.se.s du sexe. Une série de portraits poignants, bouleversants, mais parfois aussi étonnants, et qui rappellent combien le sujet est à nuancer. « En fin de compte, s’il y a bien une constante dans tout cela, dans cette diversité d’activités et de parcours, s’il y a une conséquence qui nous unit toutes, c’est la stigmatisation », résume ainsi la documentariste et ex-travailleuse du sexe Ovidie.
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Quel message vouliez vous faire passer ?
Je n’ai pas vraiment cherché à faire passer un message, mais à être davantage une sorte de courroie de transmission de leur histoire. Quand j’ai débuté ce projet j’étais très naïve, j’avais beaucoup de préjugés sur les travailleuses du sexe. Avec une vision très normée, figée et forcément glauque de ce milieu. Cela s’est révélé être vrai pour une partie des histoires, mais finalement, ce qui m’a le plus surprise c’est que je ne m’attendais pas du tout à entendre ces choses là, leurs paroles m’ont beaucoup remise en question. Un jour, j’ai demandé à l’une d’entre elle : « Mais tu ne préférerais pas faire du ménage à la place ? » Elle m’a regardé un peu interloquée et m’a répondu du tac-au-tac : « Mais pas du tout ! » Ça m’a mis une claque. J’ai pris conscience du fait que je regardais la situation du point de vue de mes privilèges uniquement, celles d’une femme blanche occidentale qui n’a jamais manqué de rien, qui a fait des études et qui a reçu beaucoup d’amour et de bienveillance de la part de ses parents.
J’ai aussi découvert qu’il existe de vrais clans autour de la prostitution, avec d’un côté les abolitionnistes et ceux que l’on appelle les « pro-sexe ». C’est totalement absurde en réalité, ces questions sont bien plus complexes. Alors le but de cette BD c’est aussi de rendre leur voix aux personnes concernées que l’on entend trop rarement, de faire entendre leurs histoires, leurs avis, leurs opinions.
Ce qui est frappant dans votre livre c’est que, comme le dit Ovidie dans la préface, “il n’y pas deux travailleuses ou travailleurs du sexe qui aient le même parcours de vie”…
Oui, c’était en effet l’un des points importants que souhaitait montrer Médecins du monde qui se bat depuis des années pour que l’on arrête de mettre toutes les travailleuses du sexe dans le même panier. Qu’elles soient migrantes sans papier qui fuient la violence, françaises, cisgenres ou transgenres, elles refusent d’être considérées comme des victimes.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les travailleuses du sexe ?
La notion de « choix » n’a finalement pas beaucoup de sens. Je pense par exemple à Monica, qui a une histoire très difficile et qui m’a dit que son seul espoir était d’obtenir un poste dans un abattoir de poulets. C’est très révélateur des inégalités sociales de notre société. Il y a des personnes à qui, dès le départ, le destin n’offre finalement aucun choix dans la vie. Ou plutôt ce que l’on pourrait appeler des « non-choix ». Le travail du sexe est bien souvent pour elles un mode de survie. Et de quel droit nous, privilégiées, qui avons fait des études et faisons des boulots que nous aimons, qui nous intéressent, on devrait dire à quelqu’un d’autre : « Tu ferais mieux de te lever à 4 heures du matin pour faire du ménage pour un salaire médiocre » Je n’ai pas encore vu de militantes s’élever pour s’opposer aux conditions de travail de ces emplois de care (nettoyage, soins des personnes âgées, gardiennage…). Par contre, dès lors que des personnes utilisent leur corps pour survivre, on voit apparaître tout un tas de jugements moraux.
Les personnes que vous avez rencontrées vous ont-elles parlé de l’impact de la loi de 2016 pénalisant les clients sur leurs conditions de travail ?
Bien sûr, plusieurs m’ont fait part de la dégradation de leurs conditions de travail. Si on pénalise les clients, automatiquement on enlève des revenus aux travailleuses du sexe. Et bien souvent ce sont les clients à risques qui continuent de braver les interdits et le rapport de force s’inverse : la violence augmente et ils tentent d’imposer des rapports non-protégés. Cette loi leur a été imposée et a été faite sans qu’elles n’aient été consultées. C’est ce à quoi j’ai tenté de répondre ici.
>> A lire aussi : Les travailleur.se.s du sexe victimes de la pénalisation des clients
Putain de vies ! de Muriel Douru, Ed. La Boîte à Bulles, sortie le 27 août, 212 pages, 24 euros.
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