Pour l’auteur du récent Les Rameaux noirs, La littérature vivante se trouve “chez les bouquinistes de quartier. On y trouve encore des écrivains qui, selon le mot de Chandler, ‘savent prier’.” Déambulation entre les étals de l’Est parisien.
Hier, pour 10 euros chez EppE, rue de Maubeuge, une thèse : Le “bon prêtre” dans la littérature française, d’Amadis de Gaule au Génie du christianisme par Pierre Sage édité à Genève chez Droz en 1951.
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Eppe toujours, pour 4 euros, une plaquette : Un habitué de nos hôpitaux : Verlaine à Broussais par Pierre Vallery-Radot édité chez Guillemot et de Lamothe en 1956.
Pour 5 euros, un peu plus haut vers le métro Anvers, un opuscule : Les Idées politiques de Joseph de Maistre par Francis Bayle, aux éditions Domat-Montchrestien, en 1945.
Grand plaisir de faire ces achats, un mardi de début septembre vers trois heures de l’après-midi. Eppe est un bouquiniste que je fréquente depuis deux ans, il m’a rendu le carrefour de Châteaudun familier. J’y passe en général avant de prendre le métro à Notre-Dame-de-Lorette. Les patrons possèdent un chien noir, un bâtard d’American Staffordshire (nom savant du pitbull) doux et lymphatique.
L’autre libraire qui se trouve un peu plus haut est un jeune homme barbu et cerné du genre 1830 qui possède un chat de gouttière roux beaucoup plus nerveux que le pitbull, il me grimpe sur le dos lorsque je regarde les étagères du bas. Il se cache aussi derrière les piles de bouquins pour me donner des coups de patte. Une boutique où je ne me sens jamais tranquille mais où j’ai fait de belles trouvailles.
“Un passage sur la constitution anglaise et le lent travail de la Providence”
La dernière, l’opuscule sur Joseph de Maistre, vient s’ajouter à la longue série que j’ai accumulée au fil des ans sur l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Je choisis d’acheter un livre en l’ouvrant au hasard : si les vingt lignes qui me viennent sous les yeux me plaisent, je sors mes 5 euros et je m’en vais sans chercher plus loin. Je le rouvrirai dans le métro entre Notre-Dame-de-Lorette et Notre-Dame-des-Champs. Ici un passage sur la constitution anglaise et le lent travail de la Providence.
“Maistre, qui reconnaît par ailleurs aux hommes la possibilité d’apporter quelques perfectionnements à la constitution traditionnelle d’un pays, fait donc une place à l’action humaine dans la formation des institutions. Mais il estime que les hommes ne sont qu’employés par une puissance surnaturelle qui seule voit la structure politique complète à laquelle l’action humaine de plusieurs siècles aboutira.”
Maistre, l’ami du bourreau, est plus modéré que les modernes.
La rue Rodier me descend jusqu’à Maubeuge. En vitrine de Eppe, une éditions des œuvres complètes de Huysmans chez Crès. Le genre de trouvaille qui m’aurait fait rêver autrefois. Aujourd’hui, je préfère mon Verlaine à l’hôpital Broussais par le cousin de Robert Vallery-Radot, l’ami de Bernanos et de Bernard Faÿ – vice-président de l’union antimaçonnique, vichyssois échappé en Espagne après-guerre puis à la Trappe.
“On ne peut plus travailler en solitaire et mourir en groupe”
Le cousin médecin est l’auteur de ce livre honnête et documenté sur un sujet intéressant : les séjours de Verlaine à l’hôpital. Le plus grand poète français s’y sentait mieux qu’ailleurs, il se reposait de sa vie de chien dans les salles communes. J’ai vu ma mère en salle commune à Laennec, je me demande quand elles ont disparu, bien avant l’apparition des open spaces dans les bureaux. On ne peut plus travailler en solitaire et mourir en groupe.
“A mesure que les années passaient, il se faisait de plus en plus à cette vie d’hôpital. Connu de tout le personnel, il arrivait rue Didot comme chez lui pour y retrouver son lit et ses habitudes, et surtout une nourriture assurée, loin des tentations du dehors. Il finit même par en prendre l’état d’âme, s’intéressant à la disposition des lieux, au va-et-vient des malades, et jusqu’aux spectacles les plus pénibles qui ne l’impressionnaient même plus. C’est à Broussais qu’il se trouvait, en 1894, lorsqu’à la mort de Leconte de Lisle, il apprend qu’il est élu Prince des poètes.”
Prince des poètes…, le titre a dû disparaître avant les salles communes.
On l’aura compris, je ménage le suspens et je garde le meilleur pour la fin. Le “bon prêtre” dans la littérature française est un des meilleurs titres que j’ai vu depuis longtemps… 450 pages jaunies, d’une érudition prometteuse. Le “bon prêtre” est un personnage qui me semble au premier abord un peu disparu dans la littérature contemporaine, mais je me trompe peut être…
“Au commencement, dans le roman de chevalerie était l’ermite”
Il y a bien un pope chez Beigbeder (Au secours pardon), mais je ne me souviens pas s’il est bon ou mauvais. Je ne suis pas sûr que l’auteur le sache lui-même. J’ai moi-même parlé d’un curé en racontant (anonymement) la vie de mon camarade Mickael Zemmour (le fils d’Edgard le fou, tueur psychopathe du gang des Z), qui après l’assassinat de son père à Miami par la mafia s’était réfugié à Paris dans les caves de l’église de la Trinité. Le curé l’avait alors recueilli.
Sûr qu’il va revenir en force.
Il est donc utile de s’intéresser à l’origine de ce personnage littéraire.
Au commencement, dans le roman de chevalerie était l’ermite.
“A heure fixe le solitaire se lève de sa dure couche de planches, de paille ou de joncs. Il sort de son étroite cellule et se rend dans son oratoire. Au moment de célébrer la messe, s’il est prêtre, il sonne la cloche, dont les échos limpides vont retentir pieusement au lointain des bois. Parfois des voyageurs y assistent. Lancelot venant ‘a hore de prime’ en un ermitage, y entre juste à l’instant que l’ermite allait ‘commencier la messe et estoit jà garniz des armes de Sainte Eglise’. De leur côté Galaad, Perceval et Boort s’enfonçant dans une vallée, ‘virent en une petite brouce ou un preudons vielx et ancien manoit’.”
“Rahmy est suisse, égyptien, juif et je ne sais quoi”
Dans le métro je pense à Huysmans et à Des Esseintes. Qu’est le héros d’A Rebours, héros de ma jeunesse, sinon un ermite sans discipline et sans amour ? C’est la cloche qui manque. Ses échos limpides aujourd’hui ne résonnent plus guère. Il faut aller en Inde comme mon camarade Orengo pour voir de tels hommes… Ici une bonne lanterne ne permet pas de les trouver.
Si, en Suisse, à Morges, j’ai rencontré un genre de saint. Un ermite de premier plan. D’ailleurs il vit en ce moment dans un arbre chez Vera Michalski. Il s’appelle Philippe Rahmy. Son livre, Monarques, édité par La Table Ronde est d’un bois remarquable.
Selon un pli moderne auquel je ne suis pas sensible en général, il évoque deux personnages en même temps : l’agonie de son père d’origine égyptienne et l’assassinat homosexuel du légat hitlérien Vom Rath en 1938 par un jeune exalté juif. C’est ce meurtre qui a déclenché la nuit de Cristal et le début des grandes persécutions. Nous étions réunis pour une rencontre et cet infirme exalté en fauteuil à roulettes m’a rendu aux meilleurs jours de ma jeunesse. Celui-là vibre vraiment.
Rahmy est malade, il souffre depuis sa naissance de la maladie des os de verre, Rahmy est suisse, égyptien, juif et je ne sais quoi et je crois pouvoir affirmer sans trop me tromper que c’est un des meilleurs d’entre nous. Monarques est excellent, mais je pense que le prochain sera meilleur encore.
Philippe Rahmy, illustré ci-contre, vient de publier Monarques (La Table Ronde, août 2017)
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