C’est l’hiver, et l’écrivain s’est installé au coin du feu pour lire Holy Terror de Bob Colacello… La chasse au portrait comme remake des âmes mortes où l’on apprend comment les superstars se jettent par la fenêtre et qu’Archie le teckel ne séduit pas Imelda Marcos.
Lu à la campagne devant la cheminée “Holy Terror” de Bob Colacello. L’éditeur Séguier n’a pas mis d’index m’évitant la tentation d’aller piocher les noms et de parcourir dans le désordre ces 970 pages de littérature. Littérature ? On a coutume de parler de textes “littéraires” en opposition à d’autres textes “non littéraires”, ce qui voudrait dire que la seconde espèce est intéressante, de lecture facile, mais manque de cette matière qui ferait le prix de la prose.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Je crois que j’aime de moins en moins la littérature… Surtout américaine, même Capote a perdu grâce à mes yeux. Je ne parle pas des Mailer, Bellow, Roth et autres singes. Holy Terror est une remarquable étude de mœurs. Portrait d’Andy Warhol bien sûr, des plus exacts, on dirait une héroïne de romancière anglaise victorienne.
Warhol est le plus moderne écrivain américain des années 1970. Warhol, c’est-à-dire Pat Hackett (Diaries), Bob Colacello et surtout Sony (surnommé “la femme d’Andy”), son dictaphone.
Le suicide d’Andrea Feldman la fille à maman désaxée de Heat
Il y a des morceaux encore très 60’s superstar dans Holy Terror. Le suicide d’Andrea Feldman la fille à maman désaxée de Heat. Jetée par la fenêtre du 14e étage un chapelet dans une main, une canette de Coca dans l’autre. Le Coca est apocryphe, j’ai lu ailleurs qu’il s’agissait d’une bible. Voilà de la littérature, l’anecdote vole, se renforce. Colacello transforme… Pour y revenir plus loin : Andrea Feldman aurait atterri sur les pieds et se serait pulvérisée jusqu’aux hanches. D’où une demi-dépouille. Ces précisions physiologiques se trouvent dans la bouche d’une autre superstar, c’est-à-dire une de ces créatures poupées poubelles qu’AW a utilisées dans les années 60 en objet transitionnel avant de s’attaquer (avec des fortunes diverses on le verra) aux vraies stars (Paulette Goddard, beau portrait fouillé, ou Elizabeth Taylor)
L’intrigue principale de Holy Terror c’est la chasse aux portraits. Avant les portraits “littéraires”, les œuvres graphiques… Andy délègue, envoie Fred Hugues ou Bob chercher des modèles (25000 dollars le premier portrait, 5000 pour les autres). Il arrive que les clients en prennent quatre, voire plus… Mais il faut les convaincre… C’est le travail de Bob. Il s’en tire mal malgré ses 10 %… Jamais une soirée ou un dîner sans une chasse au portrait.
Une intrigue romanesque simple du genre Gogol : un type fait du porte-à-porte pour acheter des âmes… Holy Terror peut se lire comme ça. L’aspect financier, le gagne-pain (“qui apporte le pain sur la table ?”) est au centre des préoccupations de l’artiste. Plus l’argent rentre, plus la chasse aux âmes est ouverte.
Je suis attiré depuis toujours par les femmes de dictateurs
C’est le gibier le plus farouche qui est le plus excitant : Elizabeth Taylor qui refusera toujours un vrai portrait, Gala (violente : donne des coups de pied au narrateur) ou la plus difficile Imelda Marcos. La scène à la mission chinoise des Nations unies où Warhol (seul Américain présent avec Sony, Bob et Fred) s’endort pendant la projection d’Imelda consacrée à… Imelda est une réussite. Je suis attiré depuis toujours par les femmes de dictateurs, Imelda est plus que ça.
La charge d’une âme de star, intense et d’ailleurs très nocive, vient du cumul d’attentions et d’intentions dont elle a été l’objet. Très supérieure à celle d’un être humain ordinaire. C’est ce que Capote a effleuré dans “Une enfant radieuse”. En terme de fétichisme magique, la charge est plus métaphysique que la psychologie. Que Marilyn ne ressemble à rien ou que Mae West soit timide ne renvoie qu’à leur charge. Mystique négative. AW c’est la révélation négative de la star après l’invention de la superstar…
Paulette Goddard, l’émouvante petite clocharde orpheline des Temps modernes devenue cette rayonnante garce à bijoux de Holy Terror est plus exacte que la Norma Desmond de Sunset Boulevard… Warhol est plus camp, moins kitsch, moins misogyne que le Viennois Wilder… Et lorsque cherchant un rôle pour Bad Warhol refuse Lana Turner – “Non ! pas Lana, c’est Paulette sans les bijoux” –, il parle en coiffeur c’est-à-dire en prêtre ; il approche au plus près la nature olympienne des stars hollywoodiennes. Leurs attributs, les dangers qui accompagnent leur apparition.
Paulette signe le contrat puis cesse de raconter sa vie
Invoquer Lana c’est provoquer le sort, les ennuis, les cadeaux, les dépenses, les retards, pire qu’un travesti. Avec Paulette (scène merveilleuse à Rome pendant le tournage du Dracula de Paul Morrissey) Andy (et Sony) veut écrire Her. Avant de s’apercevoir que Her est un titre de film porno. Paulette signe le contrat puis cesse de raconter sa vie, elle ne parle plus que de choses assommantes telle une vieille journaliste : les bons traiteurs, les bonnes adresses… Seul indice de la vraie nature de Paulette, une histoire de fellation publique revient (à un tiers !) en l’absence de Sony oublié dans la poche d’AW. Sony que Gala jetterait dans le bac à fleurs.
Il y a aussi le teckel Archie avec qui Warhol pense attendrir Imelda. Commettant une erreur psychologique de débutant sur les femmes asiatiques, il en commet beaucoup tout au long d’Holy Terror, c’est un des ressorts blagueurs du livre. Andy en Abbott et Costello toujours collé au mauvais client (la vieille cousine excentrique, le tapeur) ratant la star ou s’enfuyant quand la star veut s’approcher. Pire, il promet les couvertures d’Interview à des gens impossibles…
L’extraordinaire atmosphère de bricolage escroc à la Pieds nickelés rend toute cette bande réputée snob très sympathique et humaine. Il n’y a ni professeur, ni homme de gauche, ni militant des droits civiques, ni rien d’inhumain dans Holy Terror… Même pas un Black Panther comme dans Tom Wolfe. Les gays y sont parfaits, déjà très pères-la-morale : Andy Warhol chassé de l’Anvil lors de sa seule visite au club SM parce que son teckel Archie a léché le sexe d’un danseur noir.
“Faites en sorte que cela reste décontracté mais conservateur”
Autre étoile tombante : le shah d’Iran lâché en 1977 par la diplomatie Carter. Victime d’un véritable maccarthysme de gauche, Warhol est vilipendé par le Village Voice… Légende de la photo d’Andy chez la princesse Ashraf sœur jumelle du shah : “La torture est meilleure avec du caviar.” L’intermédiaire du portrait du souverain déconseille le rouge à lèvres et le fard à paupières : “Faites en sorte que cela reste décontracté mais conservateur”, suggère Mme Gisela Hoveyda, la charmante ambassadrice dont le beau-frère Premier ministre de Reza sera bientôt exécuté par Khomeini.
Les Ames mortes, selon Bob Colacello, contiennent plein de trésors et une clé secrète : Warhol aime Carrie de Brian De Palma au prétexte de l’usage que fait le réalisateur des ralentis (AW toujours esthétise ses pulsions) mais n’est-ce pas Carrie elle-même auquel Andrew Warhola s’identifie ? Une petite adolescente pâle timide et belle… mais elle ne le sait pas… écrasée par une mère bigote et qui déchaînera des pouvoirs meurtriers dans une surprise party 70’s parce qu’on s’est moqué de sa pudeur.
Holy Terror – Andy Warhol confidentiel de Bob Colacello (Séguier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laureen Parslow, 976 pages, 26 €
{"type":"Banniere-Basse"}