Amélie Nothomb, Jean-Paul Dubois, Jean-Luc Coatalem et Olivier Rolin sont les quatre finalistes du prix Goncourt. Le 4 novembre, l’un de ces quatre auteurs sera récompensé du prestigieux prix littéraire. Mais que valent exactement leurs livres ?
Cent ans après le prix Goncourt attribué à Marcel Proust pour A l’ombre des jeunes filles en fleur, la dernière short list du Goncourt 2019 a de quoi vous faire regretter le temps des duchesses et des frères Goncourt eux-mêmes.
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D’autant que parmi les écrivains qui ont été éliminés au profit de ces quatre finalistes se trouvaient Santiago H. Amigorena et son magnifique Ghetto intérieur (mais publié chez P.O.L, maison qui n’a remporté le Goncourt qu’une seule fois, avec Atiq Rahimi pour Syngué sabour – Pierre de patience en 2008) et Léonora Miano pour son épique Rouge Impératrice (Grasset), le roman le plus ample, le plus ambitieux de la rentrée. Deux textes vraiment littéraires et, à leur façon, politiques.
Mais passons… Qui, de ces quatre auteurs, remportera le prix dans quelques jours ?
Amélie Nothomb
On la dit déjà favorite du jury qui, pour achever en beauté l’année du centenaire du Goncourt attribué à Proust, aimerait un grand coup d’éclat. Traduire : un grand succès populaire. Et ça tombe bien : Soif d’Amélie Nothomb est déjà un best-seller avec près de 150 000 exemplaires vendus, très loin devant la deuxième meilleure vente, le roman de Jean-Paul Dubois (lire ci-après). Amélie Nothomb est intelligente, drôle, touchante, érudite, stylée, gothique, libre et aime le champagne – bref, tout ce qu’on aime. Le problème c’est son système : elle publie chaque année, depuis 1992, un petit livre basé sur une fausse bonne idée. Comme si cela suffisait… Ainsi, Soif donne la parole à Jésus pour raconter ses derniers jours avant d’être crucifié. C’est académique, plat et assez vain. Et même un Goncourt ne pourra pas transfigurer l’écriture de Nothomb en littérature.
Jean-Paul Dubois
Deuxième succès en librairie cette rentrée avec un peu plus de 40 000 exemplaires vendus, donc deuxième favori des jurés du Goncourt. Dans une prison de Montréal, Paul Hansen est emprisonné depuis deux ans. Du quotidien carcéral étouffant, l’homme qui a tout perdu s’échappe à la faveur des souvenirs qui remontent, des disparus qui le hantent. Fils d’un pasteur-gambler et d’une cinéphile insaisissable, il se rejoue les épisodes d’un monde, d’une vie qui se fissure puis s’écroule. Enième roman de l’auteur, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon oppose la banalité confortable d’un antihéros ordinaire aux mécanismes cruels de l’injustice contemporaine. Gentiment mélancolique, pas franchement palpitant, le nouveau Jean-Paul Dubois ne fera pas le plus excitant des Goncourt, mais il fera plaisir à votre vieil oncle à Noël. Mais est-ce suffisant ?
Jean-Luc Coatalem
La caution “historique” du Goncourt cette année, même si on entend dire qu’il n’aurait que peu de chance. En 1943, le grand-père de l’auteur est arrêté par la Gestapo puis déporté. Un drame dont la famille ne parlait pas, et sur lequel Jean-Luc Coatalem a décidé d’enquêter. Dans son livre, il décrit les différentes étapes de ses recherches et reconstruit comme un puzzle la vie de son ancêtre. Au-delà de l’existence de son grand-père, mais aussi de celles de son père et de son oncle, il cherche à traduire la complexité d’une époque, d’un milieu social, et témoigne de sa propre difficulté à affronter les silences familiaux. C’est un travail respectable et soigné, précis et intéressant. Pourtant, peut-être à cause d’une certaine application dans la phrase, un défaut d’ellipse et de sens de la suggestion, Jean-Luc Coatalem ne parvient ni à passer à l’universel ni à émouvoir.
Olivier Rolin
Enfin un écrivain vraiment littéraire dans cette sélection limite démago. Il faut dire qu’Olivier Rolin est maintenant publié chez Gallimard, et qu’il faut toujours un titre Gallimard présent dans la dernière sélection Goncourt. Dieu seul sait pourquoi. Pas suffisant, hélas, pour qu’il ait le prix. Si son Extérieur monde n’est pas notre texte favori de la rentrée, il faut reconnaître qu’il fait preuve, contrairement aux trois autres livres short-listés, d’un vrai style, d’une langue, d’un univers personnel, d’une beauté, bref de tout ce que l’on attend de la littérature. Rolin y signe ses anti-mémoires, sa géographie personnelle, esthétique, forcément éclatée : on y arpente des terres lointaines, on y croise des femmes aimées, on passe de l’humour à l’émotion, on se perd dans le dédale du temps. Il paraît que le Goncourt est un prix “littéraire”. Si c’est le cas, c’est à Olivier Rolin qu’il devrait revenir.
Soif d’Amélie Nothomb (Albin Michel), 162 p., 17,90 €
Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois (L’Olivier), 256 p., 19 €
La Part du fils de Jean-Luc Coatalem (Stock), 272 p., 19 €
Extérieur monde d’Olivier Rolin (Gallimard), 304 p., 20 €
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