A l’ombre des attentats de novembre 2015, Mathieu Bermann se demandecomment on peut aimer quelqu’un… d’autre. Brillant.
A chaud ou à froid, on a déjà lu des tentatives pour redémarrer la machine à écrire après cet engourdissement du désastre instillé par les attentats parisiens de novembre 2015. Mathieu Bermann s’attelle à cette même tâche mais en cuisinant un chaud-froid singulier.
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A la jointure du public et du privé, l’état d’urgence annoncé par le titre est tout autant celui du “monde alentour” le 13 novembre 2015 que celui de quelques individus particuliers : le narrateur masqué, foutrement proustien, et ses deux personnages principaux, Louise, jeune avocate, et Maxence, serveur dans un bar non loin des faits.
Un film d’horreur devenu réalité
Louise rencontre Maxence le fameux vendredi 13, qui pour elle n’est pas seulement le titre d’un film d’horreur devenu réalité mais, comme au Loto, un jour de chance. Car Louise ce soir-là tombe amoureuse de Maxence qui le lui rendra bien, à sa façon, les jours et les mois suivants. N’étaient quelques différends.
Sociaux : moi, avocate, toi, loufiat. Culturels : Louise prétend avoir lu tous les bons livres, Maxence peine à entamer Le Vieil Homme et la Mer, d’autant que, tracas domestique afférent, “où ranger un livre lorsqu’on n’en a qu’un ?” Politiques : Louise, jeune “rebelle” de son temps, se vit de gauche. Maxime, jeune prolo de son époque, se dit proche du FN.
Mathieu Bermann, remarqué en 2016 avec Amours sur mesure, fait passer le courant entre ces deux pôles, teste la solidité de leurs résistances, quitte à faire péter les plombs. Cette entreprise électrisante a du style quand à maintes reprises l’ordre d’une phrase est court-circuité pour faire passer après ce qui devrait arriver avant, par exemple un mot important comme “convictions” qui inaugure un chapitre intitulé “Ouvrir les yeux”.
“J’aimerais écrire ce livre à la manière de Louise dansant devant moi, confie le narrateur, imbécile et heureuse, quand c’est l’exact opposé.” C’est autant un mode d’emploi que les premiers pas d’une chanson d’amour. Un état d’urgence se lit comme on fredonne : tout à fait présent au gré de ses paroles d’actualité, complètement ailleurs quand l’imagination musicale folâtre, notamment sur le corps de ce maxi Maxence qui porte le prénom du marin enchanté dans Les Demoiselles de Rochefort. Autrement dit par Louise à propos de sa catastrophe adorée qui la relie au réel alors qu’elle croyait s’en évader : “La laideur du monde est évidente (…) ; il n’empêche que Maxence est beau.”
Un état d’urgence (P.O.L), 164 p., 14 €
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