Avec un troisième roman délirant façon western franchouillard, le Rennais Benjamin Dierstein paye sa tournée générale de chasseurs de primes pintés, d’enfants kidnappé·es et d’apaches broliqués. C’est bon, c’est brute, c’est truand.
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En mixologie comme en littérature, tout est question de dosage. Pour obtenir un “Piconard”, par exemple, ce cocktail “Destop” sorti de l’imagination (avinée ?) de Benjamin Dierstein, c’est assez simple : prenez du Picon, du Ricard, mélangez à parts égales, secouez, servez par cinq – au moins – et enfilez-vous ça cul sec.
En matière de polar, c’est un peu plus complexe mais tout aussi frappé. Pour Un dernier ballon pour la route, troisième opus de l’auteur rennais mais premier depuis son transfert dans l’excitante écurie “Equinox” d’Aurélien Masson aux Arènes, on pressent quelque chose comme une pincée d’Astérix et Obélix pour la baston, un zeste de Lucky Luck pour l’ambiance Far West, une bonne dose d’humour façon Groland, le tout saupoudré de colère jaune comme la couleur des gilets de la France périurbaine qui se soulève. Résultat après shaker : un polar PMU, sanguin, sanglant, délirant et jouissif, un texte de déglingos qui crame tout sur son passage et fait monter les larmes (de rire) comme un shot de tequ’ avalé sans citron.
Pot-pourri poudrière d’une belle bande de “cassos”
Déroulé à toute blinde façon western Kronenbourg, le roman donne le ton dès l’intro. Dédicacé “au peuple des bars, aux bouseux, aux cassos et à tous ceux que les élites ont préféré oublier”, il met en scène d’office une attaque explosive d’un squat de forain·es – avec démembrements de clébards et bouillie de chevrotine – qui ferait passer le siège de Fort Alamo pour une cure thermale normande.
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Artificiers de la boucherie : Freddie Morvan et son gros pote Didier, duo de chasseurs de primes pintés, tombés dans la potion de prune distillée dès le biberon. Mandatés pour récupérer l’héritière d’un milord du bocage nantais, nos Tic et Tac de la gâchette vont écumer les routes de France en Supercinq pourrie, et trouver sur leur chemin un nombre incalculable de comptoirs à cirer du coude, mais aussi des gamines qui parlent aux loups, des grands-tantes carabinées, des pochtrons excités, des charlatans suicidaires. Pot-pourri poudrière d’une belle bande de “cassos” complètement beurré·es dès l’aurore.
Ambiances de bière chaude, de cacahuètes au pipi et de turfistes bituré·es
“Les vieux rails, abandonnés depuis la disparition de la gare dans les années soixante, coupaient toujours la ville en deux, avec à l’ouest le centre-ville et les belles maisons, et à l’est la déchetterie, les terrains en friche, les caravanes et le campement des apaches.”
Echo hommage à la France des « sans-dents », sublimé par cette langue gouailleuse de pilier de bar, ponctué même de “proverbe de bistrots” inspirants pour les poivrot·es et hilarants pour tous·tes (ex : “Lever le coude est la meilleure façon de ne pas baisser les bras”), ce Dernier ballon pour la route se lit d’abord pour la pyrotechnie fictionnelle de l’auteur, qui mâtine son road trip noir serré d’un humour méchant, ultime politesse d’un désespoir social, politique, géographique ; mais aussi parce qu’il convoque ces ambiances de bière chaude, de cacahuètes au pipi et de turfistes bituré·es qui nous manquent tant depuis un an. Vivement que ça rouvre !
Un dernier ballon pour la route (Les Arènes/“Equinox”), 416 p., 20 €
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