Dessinateur, réalisateur, producteur, entrepreneur, le Français Ugo Bienvenu a trouvé avec la science-fiction une plateforme pour exprimer sa vision du monde comme dans son nouveau “Total”.
Un pied dans l’animation avec son studio Remembers, l’autre dans la BD avec ses livres et la maison d’édition Réalistes, Ugo Bienvenu est devenu en peu de temps le porte-drapeau d’une science-fiction troublante.
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Son graphisme réaliste y souligne la proximité entre les préoccupations de ses personnages et les nôtres. Après Préférence Système et l’érotique B.O. comme un dieu, Total montre la fascinante trajectoire d’un trader cynique dans un monde à peine futuriste.
Pour vous, y-a-t-il une hiérarchie entre animation et bande dessinée ?
Ugo Bienvenu – L’animation est mon langage premier. Ça a été compliqué pour moi de passer à la BD, il a fallu que je me coupe du son, du montage. Pour moi, il n’y a rien de plus sacré que le livre alors que l’animation, c’est périssable. En me proposant il y a quelques années d’adapter Sukkwan Island, le roman de David Vann, Jean-Luc Fromental de Denoël Graphic m’a mis le pied à l’étrier. Le texte me ressemblait, me permettait de parler avec ma voix.
Comment est né votre graphisme, assez froid et réaliste ?
Mes profs me disaient que j’avais un trait rigide, on me reprochait de ne pas être sensible. Et puis, un jour, je me suis dit que je devais arrêter de lutter. Le réalisme s’est imposé parce qu’il me permettait de parler avec précision, de manière chirurgicale, de ce qui constitue l’homme depuis les grottes. J’ai un trait académique qui me permet de dire le monde.
Depuis Préférence Système, sorti en 2019, la science-fiction est votre terrain de jeu.
J’ai rencontré la science-fiction assez tard, en réalisant un clip pour le groupe Jabberwocky. Jean-Luc Fromental, encore lui, me dit que ça ressemblait à du Philip K. Dick. Je commence à lire ses romans et je me suis rendu compte que la science-fiction, que j’imaginais être un prétexte pour s’amuser avec des jouets un peu cool, me permettait de philosopher en narration, de faire des métaphores impossibles dans une action située au présent.
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Pourtant, votre univers de SF paraît très proche du nôtre…
C’est notre monde, j’y fous seulement un robot. Le robot permet de nous regarder d’une manière clinique, avec une forme d’objectivité et de vérité. B.O. comme un Dieu se passe dans 30 000 ou 40 000 ans mais, à ce moment-là, l’ADN des humains ne sera pas différent, leurs peurs seront les mêmes. Nous vivons dans des immeubles qui datent des années 1800-1900, le design de nos meubles date des années 50. Notre présent est le futur d’hier !
Dans Total, on suit un homme très riche qui ne raisonne qu’en termes de valeurs…
J’ai grandi au Mexique, au Guatemala et au Tchad. Avoir toujours été l’étranger quelque part et devoir m’adapter font que j’ai toujours regardé le monde comme un anthropologue. Je me demande souvent pourquoi dans telle société une valeur est juste, et pas l’autre. Les rapports entre les gens sont vraiment centraux dans mon travail. Total c’est le moyen de parler des échelles de valeur de l’humanité et une réflexion sur le bonheur… Peut-il exister ?
Le cadre est forcément celui d’un système capitaliste ?
Je ne pense pas qu’il y ait d’autres systèmes pour les hommes. C’est un leurre de penser hors-cadre. L’homme a besoin de l’économie, sinon on perdrait du temps à déterminer le prix de chaque objet. Ce que je veux dire dans mes bandes dessinées, c’est que plus on connaît le monde, ses tenants et ses aboutissants, et plus on peut agir dessus, l’amener vers un meilleur potentiel.
Total réunit Premium + et Développement durable publiés précédemment, à plus petit tirage, par les éditions Réalistes que vous avez cofondées. Pourquoi cette structure ?
Je trouvais qu’il manquait un espace de liberté totale et surtout de légèreté, pour sortir des livres de manière débridée, pouvoir les envisager non comme des grandes œuvres, mais comme des laboratoires.
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Vous signez la couverture du nouveau Métal Hurlant mais vous quittez le comité de rédaction dès le numéro 1.
J’avais envie de faire partie de cette aventure parce qu’elle était pour moi la promesse d’un renouveau. Je quitte le comité éditorial d’abord parce que j’ai une boîte de production à gérer, ma maison d’édition, des cours à donner aux Gobelins et je viens d’avoir une petite fille. Je trouve aussi l’approche du comité de rédaction scolaire mais, si j’avais du temps, j’aurais continué.
Quels sont vos projets actuels ?
Mon prochain livre chez Denoël Graphic, je ne peux pas trop en parler, il est compliqué à réaliser. Formellement, ça n’a jamais été fait en bande dessinée. Ça va être tellement bizarre que je ne sais pas si les gens en voudront. Le pitch est compliqué à prononcer : “Sacha cherche son chat”. Sinon, je suis en train de storyboarder Arco mon long-métrage d’animation. Cela sera un film de science-fiction qui parlera à la fois aux parents et aux enfants, parce que si je suis honnête, ce qui me fait le plus vibrer, ce sont les Disney comme Pinocchio ou les Miyazaki. En matière de SF, les films des années 1950-1970 nous ont proposé le pire, c’est peut-être à nous d’inventer un futur meilleur pour qu’il advienne.
Total d’Ugo Bienvenu (Denoël Graphic), 376p., 22,50€ / Au Forum des images le jeudi 21 octobre à 19h dans le cadre de Tou’t Anim
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