Roman culte de Charles Portis paru en 1968, le « western » qui a inspiré le film des frères Coen, vient d’être traduit en français. Une madeleine un peu fade.
On connaît peu ici la littérature « western », le genre ayant été absorbé en totalité par le cinéma – les images d’hommes à cheval, de leur vie violente, n’ont laissé que peu d’espace habitable aux mots. L’ironie de cette première traduction en France de True Grit, c’est que c’est encore par la grâce du cinéma que ce livre, autrefois culte aux Etats-Unis, a pu nous parvenir. Remis à la mode par les frères Coen, le roman de Charles Portis, sorti en 1968, est même à nouveau n°1 des ventes aux Etats-Unis.
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Il n’est pas certain que cet engouement frappe aussi la France, et que le métro se remplisse de lecteurs hypnotisés par les péripéties de Mattie Ross, une quasi-enfant de 14 ans, que le métayer de son père, un dénommé Tom Chaney, a rendu orpheline. Devant gérer le deuil et la vengeance, ce petit bout de femme se lance à la poursuite de Chaney comme on se lance à l’attaque d’un secteur économique : « Je suis carrée en affaires » est son motto. Le roman la décrit en train de négocier avec des gens qui ont tous, peu ou prou, avantage à laisser cette fille, sa mère et son petit frère s’enliser dans leurs problèmes financiers.
Un marshal, aussi bourru que John Wayne et Anthony Quinn à la fois, et un sergent texan un peu foufou vont quand même trouver intérêt à l’escorter. Cet improbable trio traversera un territoire américain en plein chamboulement : nous sommes en 1870 et l’Amérique commence à prendre conscience qu’elle doit se discipliner.
Moderne, mais sans rupture stylistique
Publié en 1968 par un ancien reporter du New York Herald Tribune (qui serait depuis devenu ermite), True Grit avait déjà été adapté par ce vieil emmerdeur d’Henry Hathaway (sous le titre français de Cent dollars pour un shérif, featuring un John Wayne grisonnant). Le film était poussiéreux alors qu’il avait en germe le potentiel déviant d’un autre film de la même année, Un nommé Cable Hogue de Sam Peckinpah.
Mais le problème de True Grit, le livre de 1968 comme le film de 1969, c’est que sa modernité affichée (une fillette meneuse d’hommes, un pays qui change) ne s’accompagnait d’aucune rupture stylistique.
Aux Etats-Unis, il fut une sorte de « Tom Sawyer à cheval » pour les enfants nés au début des années 60. Donna Tartt (l’auteur culte du Maître des illusions), dans sa préface enthousiaste, a beau essayer de nous faire croire que nous sommes face à un trésor national, True Grit a un arrièregoût de madeleine. Pour nous qui avons attendu quarante ans avant de pouvoir y goûter, elle manque de saveur.
On retournera lire le vrai grand auteur de la littérature western, Dorothy M. Johnson, une femme que l’on disait teigneuse et laconique et à l’écriture autrement plus ferme que ne le sont les arrondis de Charles Portis.
Philippe Azoury
True Grit (Le Serpent à Plumes), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thierry Beauchamp, 232 pages, 20 euros.
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