Ebooks, tablettes, vente en ligne, livres enrichis : le numérique modifie en profondeur le monde de l’édition, de la création à la diffusion. À l’occasion du Salon du livre, état des lieux d’une révolution en cours en compagnie de Tristan Garcia
Lisez-vous sur tablette ? Quel est votre rapport au numérique ?
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Je ne lis pas du tout de littérature en livre numérique, mais en tant qu’universitaire, je lis énormément de textes philosophiques, d’histoire et depuis longtemps, depuis que beaucoup d’œuvres sont disponibles sur Gallica.
Je n’ai pas envie d’avoir une attitude réactionnaire. Seulement, j’ai un problème physique avec les tablettes. C’est une question de poids. En faisant défiler les pages, on ne voit pas très bien où l’on en est dans sa lecture. Il manque la sensation du temps de lecture.
Et puis il y a quelque chose de troublant pour un écrivain : un livre numérique ressemble énormément au fichier texte sur lequel on travaille. J’ai l’impression de lire un texte en cours. C’est un sentiment étrange de confusion. L’objet livre permet au contraire une médiation entre le manuscrit et le livre imprimé. Si le livre numérique se généralise ce sera un peu décevant pour l’écrivain.
Je pense que la dématérialisation correspond à une époque, à une volonté d’économie de l’espace. J’ai passé plusieurs mois en Californie et tout le monde lit sur tablettes. Mais j’ai quand même l’impression qu’on n’en arrivera pas là en France. Encore une fois, je n’ai pas de position ontologique contre l’écran, mais j’ai du mal à cerner ce qui pourrait rendre la lecture sur tablette plus agréable, même s’il y a eu beaucoup de progrès : moins de luminosité, très peu de brillance etc. Je comprenais très bien pour la musique ; que les gens veuillent écouter de la musique gratuitement. J’ai plus de mal à cerner le gain pour la littérature, à part le gain de place. Je me demande si cela ne procède pas d’habitudes cognitives et perceptives. On veut faire au texte ce que le cinéma a fait pour les images ; on veut percevoir le texte de la même manière, le faire défiler sur un espace unique.
Pendant un temps, je me suis dit que, contrairement à la musique, il n’y aurait pas de problème de transfert de qualité. Mais un jour, j’ai téléchargé Mémoires d’un chasseur de Tourgueniev. La traduction n’était pas indiquée. Il s’agissait en réalité d’une vieille traduction. C’est la même chose pour les textes philosophiques, souvent téléchargeables dans les traductions datées de Barthélémy-Saint-Hilaire. Il peut donc y avoir déperdition de qualité, notamment au niveau des traductions pour des problèmes de droits.
Est-ce que la question de l’exploitation numérique des droits d’auteur vous préoccupe ?
Je pense qu’à la différence de la musique, les ventes numérique/papier s’équilibreront. La littérature ne brasse pas les mêmes enjeux économiques que l’industrie du disque. Ça fera peut-être du mal à Guillaume Musso, mais pour la majorité des écrivains, ça s’équilibrera. Le problème des droits d’auteur est un problème d’artistes riches qui ne permet pas de penser la question de la redistribution, des subventions etc… Ensuite, que le numérique accentue la marginalisation de la littérature exigeante, cela me semble une évidence. C’est ce qui s’est passé avec la musique : sur les premières pages d’iTunes, c’est Mylène Farmer. Mais je pense que la littérature pourra plus rapidement que la musique reconstituer un réseau de blogs prescripteurs, un maillage alternatif. C’est pour cela que je ne suis pas pessimiste à moyen terme.
En tant qu’écrivain, êtes-vous tenté par le livre augmenté ou enrichi ?
Je suis très méfiant à l’égard de l’usage un peu naïf du multimédia en littérature. Ça peut donner des choses intéressantes comme l’usage des couleurs par Maurice Roche ou des photos par W.G. Sebald. Mais la plupart du temps, c’est un gadget, un résidu cheap de l’art total du XIXe siècle. Ça ne m’a jamais vraiment convaincu. Ce n’est pas comme ça que l’on va restituer le réel, le contemporain ou même l’avenir. Peut-être que quelqu’un fera l’équivalent de Julio Cortazar avec Marelle, mais ce ne sera pas moi.
Le numérique facilite l’autoédition. Envisagez-vous de vous passer d’éditeur ?
Ça dépend du type de texte. J’aimerais que puissent circuler sur le Net certains de mes textes qui ne sont pas en état d’être publiés. Mais pour un texte abouti, il faut un éditeur. C’est un fantasme de vouloir faire sauter toutes les médiations. Il faut un travail d’édition et de distance pour qu’une œuvre soit accomplie. A terme, l’absence d’éditeurs serait une catastrophe. Désorientés, les lecteurs iraient en masse vers des livres très mainstream, et tout l’underground serait sacrifié.
Pourquoi ne pas mettre vos textes inachevés ou impubliables sur un blog ?
Ce que je n’aime pas dans le blog, c’est le fait d’aller chez l’auteur. Je n’aime pas cette proximité. En revanche, mettre en ligne des fichiers textes qui n’ont pas forcément besoin d’un travail d’édition, un peu comme une bouteille à la mer, je le ferais volontiers.
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