Dans ce recueil de nouvelles écrites dans les années 1980, Dorothy Allison commence l’exploration de ses thèmes fétiches : les histoires rudes de sa famille et de sa Caroline du Sud natale, des personnages féminins forts et un désir lesbien incandescent.
“Trash” ne désigne pas, ici, la tentation de la petite provoc facile, un mauvais goût bling-bling ou une vaine tentative sex, drugs & rock’n’roll de choquer le bourgeois (même si, du sexe, il y en a pas mal). Sous la plume de Dorothy Allison, le “trash” prend la forme d’une réappropriation : celle d’une “cassos” du Sud des États-Unis – une “white trash” comme on dit là-bas – regardée par les autres comme si elle et sa famille étaient bonnes pour la poubelle, et qui décide de revendiquer l’étiquette. « L’élément central de ma vie, prévient l’écrivaine dès les premières lignes de l’introduction, c’est d’être née en 1949 à Greenville, en Caroline du Sud, fille bâtarde d’une jeune femme blanche issue d’une famille désespérément pauvre, qui avait arrêté le collège l’année précédente, travaillait comme serveuse et avait eu quinze ans tout juste un mois avant de me donner naissance.”
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Pauvreté
“Trash”, donc. Comme elle l’a aussi fait avec le mot “gouine”, insulte devenue fierté, l’écrivaine reprend à son compte le terme “dans un geste d’autodéfense”. Car ses origines familiales imbibent toute son œuvre, comme le babeurre fait le cœur des scones confectionnés par la mère de la narratrice. Dans ce recueil de nouvelles, savant mélange d’autobiographie et de fiction, on croise beaucoup de femmes (celles qu’Allison affectionne “des femmes difficiles, complexes, en colère, avec des natures secrètes et imprévisibles »), des accents traînants, des hommes qui boivent trop, une farandole de noms de cousins aux vies parfois vite vécues, des boulots précaires et épuisants. Bref, “une condition de pauvreté que cette société trouve honteuse, méprisable et, en quelque sorte, étrangement méritée”.
On y trouve des violences sexuelles, aussi : l’écrivaine a été victime d’inceste par son beau-père, à partir de l’âge de 5 ans. Le sujet était déjà au cœur de L’histoire de Bone, publié en 1992 et traduit en français en 1999, qui l’a fait connaître du grand public (et a même été adapté en téléfilm par Anjelica Huston pour Showtime). Son deuxième roman, Retour à Cayro, était une nouvelle variation sur le thème des violences intrafamiliales. Depuis 2015, les éditions Cambourakis se sont lancées dans la publication de ses textes courts, d’abord avec Peau (initialement publié chez Balland, en 1999, mais depuis longtemps plus disponible), puis Deux ou trois choses dont je suis sûre, l’année dernière, et enfin Trash, traduit par Noémie Grunenwald.
Un chemin à travers la colère de la littérature
Dans ces textes, avec chacun de ses mots, Dorothy Allison semble nous dire : “On n’est pas stupides. On s’en sort même plutôt bien avec ce qu’on a”. Allison s’en est même particulièrement bien sortie, elle qui a été la première de sa famille à terminer le lycée, et qui vit désormais bien loin de son Sud natal, dans le Nord de la Californie. Elle s’est frayée un chemin à travers la colère de la littérature, l’excitation du mouvement féministe et un désir lesbien libéré. Ce dernier se retrouve d’ailleurs tout au long des pages de Trash, dans des descriptions sans fausse pudeur de sa faim pour “les fesses tendues et rebondies” de ses amantes, qui la font “légèrement déborder de partout”. Allison excelle dans l’écriture de ces très jolies pages, humides et joyeuses. Peut-être une histoire de fierté, toujours.
Trash (éditions Cambourakis/Collection Sorcières) Traduction de l’anglais (États-Unis) par Noémie Grunenwald. 280 p – 23 euros. En librairie.
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