Olivia Rosenthal explore les films et sa vie dans un même mouvement, pour accoucher d’un texte saisissant sur la maternité, la descendance, l’héritage.
Il y a eu des écrivains ponctuellement critiques de cinéma : Claude Ollier dans les Cahiers du cinéma dans les années 1960, Hervé Guibert dans les pages du Monde dans les années 1970, Emmanuel Carrère dans Positif et Télérama au début des années 1980.
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Il y a eu des critiques de cinéma en devenir écrivain : Serge Daney, dont le dernier ouvrage, Persévérance, organisait un impressionnant ressaisissement de toute son expérience biographique par le prisme des films qui l’avaient traversée.
Flux d’écriture enfiévrée
Et puis, il y a aujourd’hui Olivia Rosenthal, qui n’est ni l’un ni l’autre, mais trouve une autre voie, tout à fait singulière, où les films et sa vie sont explorés dans un même flux d’écriture enfiévrée.
Parler des autres à partir des spectateurs qu’ils ont été, c’était l’enjeu du précédent livre de l’auteur, Ils ne sont pour rien dans mes larmes (2012). Olivia Rosenthal y faisait le portrait de quelques personnes après leur avoir demandé quel était leur film préféré. Bien sûr, entre les films élus et les trajets de vie parcourus, des échos se faisaient entendre.
Trois films d’affrontements entre humains et animaux
Et, en prologue et en épilogue, la romancière n’omettait pas de s’ausculter elle-même. On n’oubliera pas la première phrase, glaçante : “J’ai le vertige. Depuis que ma sœur s’est jetée par la fenêtre, j’ai le vertige” – à propos de Vertigo d’Hitchcock.
Ce sont trois films d’affrontements entre humains et animaux qui structurent le nouveau texte d’Olivia Rosenthal, Toutes les femmes sont des aliens (rappelons que ce rapport à l’animal était déjà au cœur de Que font les rennes après Noël ?, 2010). Le premier, c’est Alien, où plutôt la saga Alien, qui métamorphose “la femme-soldat”, progressivement, en alien.
Créatures inachevées et en souffrance
Dans le 2, elle est en charge d’une petite fille et, lorsqu’elle entre dans le nid de monstres, le film devient “un affrontement de mères”. Dans le 3, elle est enceinte du monstre et doit “combattre la bête à l’extérieur et à l’intérieur”.
Dans le 4, elle n’est plus qu’un clone de celle qu’elle fut et le texte décrit de façon puissante, immersive, la visite de Sigourney Weaver au laboratoire, face aux clones d’elle inaboutis, créatures inachevées et en souffrance.
Toute progéniture est-elle un alien ?
Les mères sont-elles des monstres ? Toute progéniture est-elle un alien ? Le texte rumine ces questions, les tord en tous sens, trouve un deuxième film pour les alimenter : Les Oiseaux d’Hitchcock. Les oiseaux sont l’entité qui sépare, empêche le couple. “La famille américaine se meurt” et “les oiseaux entrent par le foyer” (jeu de mots brillant, puisque les oiseaux pénètrent la maison par sa cheminée).
Enfin, en s’emparant de Bambi (et en le faisant résonner avec Le Livre de la jungle) de Disney, Olivia Rosenthal donne sa forme la plus exaltée à ce ressassement de questionnements intimes projetés dans des films.
Les films aimés sont ces corps étrangers
Autour de Bambi, elle organise un tramage impressionnant entre la mort de la mère, la musique sirupeuse, la Shoah, les orchestres de déportés dans les camps et le choix qu’elle fit enfant de jouer de l’instrument yiddish par excellence, du violon. “On croit qu’on choisit et on ne fait que répéter une histoire que personne ne nous a transmise.”
A la façon dont Olivia Rosenthal s’empare des films, les laisse croître en elle, une idée se fait jour. Les films aimés sont ces corps étrangers qui font de leurs spectateurs un hôte, avant de les transpercer pour ressortir sous une forme transformée, un texte. Certains films sont des aliens.
Toutes les femmes sont des aliens (Verticales), 160 pages, 10 €
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