Quand un auteur rend hommage à un écrivain. Avec “Le Magicien”, Colm Tóibín signe un roman crépusculaire sur les paradoxes de Thomas Mann.
De Colm Tóibín, on avait aimé Le Maître, qui raconte cinq années décisives de la vie d’Henry James. Le Magicien est consacré un autre monument de la littérature mondiale, Thomas Mann.
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Ce livre remarquable est radicalement différent de tout ce que Tóibín a écrit jusqu’ici. Ses 600 pages, dont aucune n’est de trop, couvrent toute la vie et l’œuvre du génie des lettres allemandes, de sa naissance à Lübeck jusqu’à ses dernières années en Suisse en passant par ses rêves érotiques à Venise et son exil américain. Il tient plus du roman que de la biographie : c’est en se projetant dans la peau de son personnage, que Tóibín réussit à aborder le mystère que cet homme réputé distant et froid, demeura pour tous, à l’exception de sa femme.
Le mystère Mann
Le romancier s’autorise à inventer des scènes qui interrogent les émotions contradictoires qui transportent le père de cette famille brillante mais austère, protestante, où l’on n’arrive pas à se dire qu’on s’aime. Il révèle les faiblesses du grand bourgeois conservateur que fut Mann, un homme qui préfère le compromis à l’engagement, et qui ne dira rien sur le nazisme jusqu’en 1936, alors même que son épouse était juive. “Ce que personne ne comprenait, écrit Tóibín, c’est qu’il avait peur”, que son journal intime ne soit découvert dans le coffre-fort de sa maison, qui révèlerait son attirance scandaleuse pour les jeunes garçons. La déchéance que cela impliquerait pour sa réputation n’est pas sa principale appréhension : il pourrait ne plus être accepté aux États-Unis, où il espère trouver refuge. Tóibín redonne aussi à son sujet sa part d’humanité et de courage. Il le montre contribuer à sa façon à la résistance quand il est exilé à Los Angeles, en confiant par exemple au Président Roosevelt ce qu’on lui dit sur les chambres à gaz, au moment où les États-Unis ne veulent pas entendre parler de la guerre. Et puis il y eut la mort de son fils. L’immense peine des Mann explique qu’ils ne purent se rendre aux funérailles, loin de “l’indifférence” dont Mann dut subir l’insulte à l’époque dans les journaux. Telle est la vérité que la littérature peut atteindre.
Le Magicien de Colm Tóibín (Grasset) traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson, 608 pages, 23 euros.
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