Les sombres souvenirs d’une relation mère-fille dans une Angleterre cabossée.
C’est un livre accaparant que ce premier roman de la Britannique Daisy Johnson, née en 1990 et résidant à Oxford. Elle dit dans un de ses rares entretiens : “Si je n’arrive pas à vivre de mes livres, je deviendrai bergère.”
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Ce serait une grande chance pour les moutons et une terrible perte pour la littérature. Daisy Johnson confie aussi : “J’ai habité des maisons hantées quand j’étais petite.” Hanté, Tout ce qui nous submerge l’est à coup sûr. Le titre original, Everything Under, le dit encore mieux. Tout ce qui est en dessous de la vie de Gretel, une lexicographe de 32 ans précipitamment ramenée à son enfance par un appel téléphonique de l’hôpital où dépérit sa mère.
Quelle mère que cette Sarah ! Foutraque, marginale, alcoolique et grande fumeuse. Quelle enfance pour Gretel, passée à bord d’une péniche sur un canal de l’Oxfordshire. Un cauchemar, un rêve, avec une Angleterre bousillée en toile de fond. Gretel a vécu comme une de ces enfants qui ont grandi dans une cave, “enchaînées à leur pot et à qui on n’a jamais appris à parler”.
Cercles de sorcière
L’année de ses 16 ans, Gretel est larguée par Sarah, sur un coup de tête, à un arrêt de bus. “Je suis montée la première dans le bus. Quand je me suis retournée, tu étais toujours sur le trottoir et lorsque le chauffeur t’a demandé si tu venais, tu as répondu non.” La suite sera le récit d’un retour à la mère-amère au gré d’une mémoire fantasque “qui fonctionne par cercles déconcertants qui apparaissent, puis s’effacent.” Cercles de sorcière, cela va sans dire.
Ce qui surgit alors ce n’est pas tant une version gothique de l’Œdipe qu’une plongée dans les eaux sombres d’un passé immémorial qui excède le roman familial : “Des craquements et autres claquements dans la nuit, des mots mal écrits, le jargon des publicités, des corps qui nous attirent – ou pas –, les bruits qui nous rappellent ci ou ça. Le passé n’est pas un fil que l’on tire derrière nous, c’est une ancre.”
« Des mains humaines et une bouche de poisson »
Une ancre enlisée dans des bas-fonds où grouillent des personnages d’un drôle de genre : un certain Marcus, jeune homme bancal qui pourrait être une fille. Une certaine Fiona qui est une femme dans le corps d’un homme, “comme un poisson vivant dans le ventre d’un héron”.
Plus profond encore, une chose, LA chose, que Gretel et sa mère ont surnommé le Bonak, une créature vaseuse “qui a des mains humaines et une bouche de poisson”. Terreur et stupeur sont les moteurs à explosion de ce formidable roman de l’inquiétude.
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