Avec l’album Touchées, le dessinateur met en lumière, à travers une fiction, la pratique bénéfique de l’escrime thérapeutique pour les victimes de violences sexuelles. Rencontre.
Après avoir publié l’année dernière Appelez-moi Nathan, écrit avec Catherine Castro et racontant le cheminement d’un jeune transgenre, le dessinateur Quentin Zuttion a entrepris seul Touchées, un émouvant album sur trois victimes de violences sexuelles qui se reconstruisent grâce à l’escrime thérapeutique, une pratique encore méconnue dont les bienfaits touchent à l’esprit comme au corps.
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Dans Touchées, tu mets en scène des femmes qui pratiquent l’escrime thérapeutique. Comment as-tu eu connaissance de cette pratique ?
Pendant que je dessinais Appelez-moi Nathan, j’ai rencontré – complètement par hasard – une escrimeuse. On visitait le même appart à Paris. Un peu dépités par l’enchaînement des visites, nous sommes allés boire des coups. C’est là qu’elle m’a parlé de l’escrime-thérapie. Ça a pas mal résonné parce que, pendant mon adolescence, une de mes proches a été victime de violences sexuelles. Souvent, les parcours d’accompagnement passent par un psychiatre ou un psychologue. Je me suis demandé ce qui se serait passé si, en complément de la thérapie psychique, on avait mis un sabre entre ses mains. Ensuite, j’ai rencontré Violaine Guérin, présidente de l’association “Stop aux violences sexuelles” qui a mis en place ces ateliers d’escrime mais aussi d’équitation ou de piscine. Tout dépend de ce que les victimes veulent exprimer par le corps pour se décharger de leur vécu traumatique.
https://twitter.com/QuentinZuttion/status/1169570135247642624
As-tu pu assister à un atelier d’escrime thérapeutique ?
Non, ça serait comme interrompre un moment médical. En revanche, j’ai pu faire une séance seul avec le maître d’armes, réaliser les exercices de base. Trois heures d’escrime et une heure de discussion qui m’ont permis de me rendre compte de ce que ça fait d’enfiler le masque, l’armure. On voit l’escrime comme un sport assez gracieux et léger alors qu’il y a quand même une sacrée violence. Et puis, sous ce masque, on ne peut pas voir sur les côtés, c’est un peu flou.
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Avec tes albums, tu abordes des sujets très contemporains qui touchent souvent aux blessures…
Les sujets de société assez concrets, j’essaye de les détourner par la métaphore, la métamorphose. Je ne voulais pas dessiner un album pédagogique ou didactique sur les traumatismes liés aux violences sexuelles. Les trois personnages principaux de Touchées entrent toutes dans une espèce de délire métaphorique qui s’exprime sur mes planches. Nicole étiole sa propre armure, alors que Lucie ne va faire plus qu’une avec la sienne, ses bras et ses jambes deviennent des lames et elle finit par tuer la projection qu’elle se fait de son agresseur. Tamara, elle, va éclater en mille morceaux ses adversaires.
L’intérêt de l’escrime c’est qu’elles sont toutes masquées donc elles peuvent projeter qui elles veulent en face. Violaine Guérin me parlait beaucoup d’énergie meurtrière, comme si l’agresseur contaminait sa victime qui, à son tour, doit se décharger de cette énergie.
Pourquoi ces trois personnages ?
Nicole, a entre 40 et 50 ans, Lucie a la trentaine et Tamara, 18-20 ans. C’était important d’avoir ce décalage générationnel pour montrer différentes manières de s’exprimer. Tamara a un langage assez violent avec toujours des mots assez ambigus. La sororité qui s’installe dans un groupe peut aider les victimes à dépasser leur traumatisme. Par exemple, la défense de Tamara passe beaucoup par l’hypersexualisation, la drogue et l’alcool alors que Nicole, à l’inverse, se désexualise totalement. Finalement, le mode de défense de Tamara permet aussi à Nicole de se libérer.
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Le mouvement MeToo a-t-il joué un grand rôle dans ta prise de conscience ?
Hélas, pour recueillir témoignages et ressentis, il n’y a pas à chercher très loin… Ce qui a été le plus impressionnant avec MeToo, ça a été le flot de témoignages. J’ai rencontré l’escrimeuse à ce moment-là. J’avais dans mon entourage une connaissance à qui je savais qu’il était arrivé des choses similaires et qui n’a pas pris la parole au moment de MeToo. Car c’est aussi une violence d’en reparler… au final, ce sont encore aux victimes de « travailler« . Ce qui m’a intéressé avec l’approche corporelle de l’escrime thérapeutique, c’est que ça libère d’une deuxième prison. La cage de mutisme et de honte se traduit aussi par le corps.
Après la libération de la parole, il faut celle du corps ?
Depuis MeToo et après l’intervention d’Adèle Haenel, on voit une libération de la parole qui a une portée très puissante et notamment de prévention. Dans mon livre, je ne parle pas de prévention mais de ce que l’on fait après que la violence a été commise. C’est ce parcours de reconstruction qui m’a intéressé. Qu’a-t-on comme outils aujourd’hui ? Je suis très content que ma bande dessinée mette en valeur l’association “Stop aux violences sexuelles” et cette approche dont je n’avais jamais entendu parler. J’ai voulu parler de quelque chose qui fonctionne, qui propose une guérison et un avenir un peu meilleur.
Propos recueillis par Vincent Brunner
Touchées de Quentin Zuttion (Payot), 224 p, 21,80€
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