Une question nous hante : quels livres lit-on au Camilla’s Reading Room, le bookclub de la reine ?
“Mais qui peut bien être ce drôle de type ?”, aurait demandé la reine mère face à un homme qui déclamait un poème. Il s’agissait pourtant de l’un des poètes les plus célèbres, qui se trouvait alors dans la même pièce qu’elle et lisait son propre poème, l’un des plus célèbres poèmes du moment. La reine mère n’avait pas reconnu T. S. Eliot alors qu’il se trouvait sous son nez et lisait The Waste Land…
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette anecdote, les Anglais·es aiment la mentionner dès qu’ils veulent rappeler l’étendue de l’inculture de la famille royale. En 2010, dans un petit livre charmant, La Reine des lectrices, le dramaturge Alan Bennett imaginait ce qu’il se passerait si la reine Elizabeth découvrait enfin la lecture et si elle en devenait fanatique au point de négliger ses obligations, sa famille, la couronne, pour pouvoir lire Jean Genet tranquille. En 2023, la fiction semble être devenue réalité : les Anglais·es ont une reine qui lit. Camilla, qui vient d’annoncer vouloir abandonner l’affreux titre “consort” pour accéder à celui de reine tout court, est même passée à travers les flèches décochées par le livre de Harry, Spare, en faisant parler de son book club, The Queen’s Reading Room.
En Angleterre, la guerre des livres est déclarée
Lors d’une cérémonie en présence du roi il y a quelques semaines, elle déclarait même vouloir lancer la première édition de son festival littéraire en juin. Bref, la guerre des livres est déclarée au royaume très vaguement uni de Sa Majesté, où le mot littérature fait pourtant fuir dans les cottages (et dans les palais), l’anti-intellectualisme y étant du meilleur ton – le snobisme des Anglais·es, même éduqué·es à Oxbridge, consistant à ne surtout pas se montrer highbrow (en somme, intellectuel·les).
Dans un camp comme dans l’autre, le livre est devenu un outil, instrumentalisé pour se venger, rendre publique une vérité cachée, comme Harry, ou pour se faire briller, comme Camilla. L’un se sert du livre pour dénoncer tout un système, l’autre pour le faire reluire. Créé pendant la pandémie, ce n’est pas un hasard si le book club de Camilla est soudain mis en avant par la Couronne. Au point même, pour attirer l’attention des médias, de se risquer à prendre parti (ce qui est contre leur mantra “never explain, never complain”) dans la polémique entourant les centaines de changements effectués dans les livres pour enfants de Roald Dahl, en se déclarant du côté de la liberté d’expression.
Au programme de la Camilla’s Reading Room, un choix de livres par saison, accompagné sur son site d’interviews d’auteur·ices (l’inévitable Hilary Mantel, l’omnipotente Elena Ferrante) et de mini clips de la reine elle-même. Son choix de livres pour la “saison 9” ? Surtout rien d’intello, on l’aura compris. De gros romans historiques à couvertures bariolées (message : “vous apprendrez quelque chose sans que ce soit difficile”), des best-sellers qui ont eu droit à une adaptation cinéma (Expiation de Ian McEwan), des choses distrayantes comme Mrs. Harris Goes to Paris de Paul Gallico. Pour finir, l’autre vertu dont se pare ici Camilla, c’est la bonté : sa Reading Room est, bien entendu, une œuvre de charité. Pour rapprocher les lecteurs des écrivains, nous dit-on grosso modo. Mais comment ? C’est ce qui n’est pas expliqué. Sans doute parce que ce n’est pas le plus important.
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 16 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
{"type":"Banniere-Basse"}