Le journaliste Pierre-Louis Basse publie « La Tentation du pire, l’extrême-droite en France de 1880 à nos jours » aux éditions Hugo et Compagnie. Riche de 350 photos et illustrations, l’ouvrage se veut un « appel à la vigilance » face à la montée du vote FN.
Au moment où Marine Le Pen refuse l’étiquette d’extrême droite accolée au Front national, écrire cette histoire de l’extrême droite française vous semblait-il nécessaire ?
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J’ai l’impression que la réponse est dans la question… C’est justement parce que Marine Le Pen tente d’imposer aux journalistes une nouvelle grille de lecture du Front qu’il est indispensable de démasquer l’escroquerie ! Cette cheftaine à la mode n’est que l’expression d’un mouvement, d’idées qui viennent de loin. D’une certaine manière, elle « n’y peut pas grand-chose ». Chaque jour qui passe – jusqu’aux incidents du 11 novembre impliquant un candidat FN à la mairie de Paris – démontre la réalité du FN. Violence, amour du chef, projet organiciste, droit du sang, préférence nationale…
Quel panorama des droites extrêmes dressez-vous dans ce livre ?
Plutôt qu’un panorama, je souhaitais travailler, creuser, une double démonstration : la filiation tout d’abord, l’extrême droite – et ses marges, ses influences, y compris venues de la gauche -, qui s’épanouit vraiment, dans notre pays, avec l’affaire Dreyfus. Et puis, sa capacité de séduction au long cours. La société, infusée littéralement, par ses écrivains, ses penseurs. C’est d’ailleurs fascinant comme les choses, dans ce domaine, ont tendance à bégayer. Bien sûr, rien ne se répète jamais à l’identique. Mais le simple fait que les évènements bégaient entre eux est déjà une sorte de répétition ! Hier, le juif. Aujourd’hui, le musulman, le Rom. Relire les textes de Paul Morand ou Pierre Drieu la Rochelle, puis enchaîner sur Richard Millet ou Renaud Camus est tout à fait passionnant. Hélas, aujourd’hui, les discussions portent si rarement sur les textes ! Lisez donc L’Opprobre de Millet. Ça sent le banquet du FN tout de même. L’obsession maladive de l’occident chrétien. La pétoche de l’avenir. Tout y est. Ces mecs, ça ne les empêche pas d’avoir un talent fou. Mais il y a un moment où ça dérape. Ce qui est dingue, c’est de lire ce cynique absolu de Paul Morand – ex ambassadeur de Vichy à Bucarest, mais qui finira son parcours à l’Académie française – disant après la guerre, je le cite de mémoire : « Bon, les juifs, ils étaient parfaitement intégrés, mais il fallait un bouc émissaire… une sorte de distraction, de génocide mondain… » Extraordinaire non ? J’ai revu l’émission Ce soir ou jamais consacrée à l’affaire Anders Breivik et au livre que Millet lui a consacré. Sans doute voulait-il faire l’intéressant. C’est d’une nullité effarante. Petite sauterie entre amis. Rien sur les textes. C’est à peine si Edgar Morin se révolte. Alors forcément, il y a un boulevard pour cette France rance. Au nom, bien sûr, de cette bonne vieille objectivité chère à tous ces journalistes qui ont passé leur jeunesse à biberonner du Science Po. Ajoutez à cela, la fin de toute représentation populaire dans le champ de la culture, en particulier le cinéma, et vous avez quelques clefs…
Quelles sont les principales mutations et permanences de l’extrême droite française depuis 1880 ?
On peut dire que lorsque le FN est créé en 72, c’est un acte qui fonde la renaissance à la fois théorique et électorale de l’extrême droite en France. Dés 45, elle est bien évidemment présente et revancharde. Mais là, c’est bien autre chose. 1945- 1975 : une parenthèse se referme. L’histoire qui a vocation à s’effondrer au fil des générations, ne va plus tarder à être réécrite pour les biens de la cause nationaliste. C’est la grande entreprise de la génération Buisson. Alain Renault, compagnon de route de Buisson, l’expliquera à merveille. Soyons « respectables », sans oublier bien évidemment nos fondamentaux. Une image ? Celle de Maurice Bardèche, célèbre avocat de Brasillach, qui râle un peu, mais finit par se dire, que, mon dieu, ce Front, c’est tout de même une bonne nouvelle pour nos idées n’est-ce pas ? En piste donc, dés les années 80, pour pénétrer le monde de l’édition, de la presse – Pauwels et le Figaro magazine, sachant que l’environnement fera le reste. Fin du communisme, trahison économique et sociale de la gauche au pouvoir, atomisation du lien social, véritable pornographie ultralibérale, ont fait du bon boulot. Nous y sommes. Il est bien évident que la « World Planet » avec son cortège d’uniformisation contemporaine à tous les étages, de peur, de destruction industrielle, ajoute un étage à la fusée.
Comment avez-vous procédé pour écrire ce livre ? Pourquoi avoir laissé une si large part à l’iconographie (plus de 350 photos et illustrations) ?
Ce livre, c’est aussi la rencontre de deux générations. Caroline Kalmi a écrit sur Gringoire. C’est une jeune historienne. Elle demeure dans une narration classique. Je pouvais pour ma part enclencher des portraits, des « ambiances », des engagements chevillés aux corps des idées, de la littérature, du cinéma. C’est aussi un livre de résonances. D’où la présence, d’une part, de quatre regards très différents, mais tous unis par une idée républicaine – Dany Robert Dufour, Benjamin Stora, Adrien Gombault, Jérome Leroy –, et d’autre part de l’image en effet. Puissance des archives. Puissance du cinéma, révélateur des mouvements de la société. Je voulais un livre vivant. L’affiche du film de Boisset Dupont la joie est exemplaire de clarté à propos de ce racisme qui monte dés le milieu des années 70. Loin de moi l’idée d’un « papier collé ». Non, il y avait sur ce chemin, constamment, discussion et partage, à la fois avec Caroline, mais aussi avec mes complices, graphiste et éditrice, Isabelle Solal et Mathilde. Prenons le parcours de Drieu. Voilà un type complètement décadent, plein de contradictions. Les femmes, sa propre beauté. Son côté « nazisme en tweed ». Eh bien, il se place parfaitement dans l’ambiance des Damnés de Visconti…
Estimez-vous qu’à défaut d’une victoire électorale, le FN a remporté une victoire culturelle ?
La certitude, c’est que les acteurs de l’extrême droite d’hier et aujourd’hui, ont, très consciencieusement, utilisé en effet, les armes culturelles pour progresser dans la société. Il y a plus de quarante ans déjà, Pasolini, dans ses écrits Corsaires prévenait du danger. Dire que le fascisme des années trente, c’est ce que nous nous vivons aujourd’hui, est comme « confondre la mer et la montagne ». Autre chose arrive. Fascisme de la consommation. Abrutissement et crétinerie médiatique. « Fascisme froid » dirait Houellebecq…
J’ajouterais néanmoins un élément, qui comptera sans doute dans la perception des historiens. Ce que le philosophe Alain Badiou cerne magistralement comme étant ce « Pétainisme transcendantal » installé par la Présidence de Nicolas Sarkozy. Que ce type ait légitimé à l’Elysée, pendant toutes ces années, un disciple de Maurras, obsédé par la vieille rengaine Barrésienne des vivants et des morts, en dit long, très long, sur l’état de fatigue de notre pays. Fatigue, peur de l’avenir, désenchantement, ce sont là des ingrédients qui ont désintégré notre unité nationale. Sarkozy et ses hommes de pailles resteront dans l’histoire contemporaine, comme les pantins assumés du retour de cette extrême droite. Cinq années à créer de la haine et toutes sortes de confusions historiques. C’était le but recherché.
Dans votre livre, vous adressez une lettre ouverte à Robert Ménard que vous connaissez depuis près de 30 ans. Comment expliquez-vous son ralliement à Marine Le Pen ?
Ménard… Oui, je le connais bien… Je crois que dans la vie, il y a des individus qui ont besoin de faire du vent. Comme d’autres font du vélo ou de la pâtisserie. Au fond, il n’est pas bien méchant. Simplement, il pédale dans le mauvais sens. D’autres avant lui ont fait le même chemin… Bon… avoir défendu la liberté de la presse et se prononcer maintenant pour la peine de mort… C’est triste. C’est une façon comme une autre de vouloir exister…
Quel regard portez-vous sur le journaliste André Bercoff qui a réalisé un livre d’entretien avec le président du Bloc Identitaire ou sur Eric Naulleau qui sort un ouvrage avec Alain Soral ?
André Bercoff, ça doit lui changer de Tapie… C’était sa plume non ? Quant à Eric Naulleau, je pense franchement qu’il mérite bien mieux. C’est un type que j’aime bien. Peut-être son côté boxeur. L’envie d’en découdre sur un ring imaginaire, avec Alain Soral. Chacun fait ses choix. Mais pour choper le diable… Attention… Il faut avoir une sacrée allonge.
Recueilli par David Doucet
Pierre-Louis Basse, La Tentation du pire, l’extrême-droite en France de 1880 à nos jours, aux éditions Hugo et Compagnie
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