La photographe de guerre américaine Lynsey Addario raconte sa vie dans un livre passionnant sur l’envers des images et son quotidien sur le front. Une leçon d’humanité et de bravoure.
Lynsey Addario est une petite brune charmante et pomponnée. Elle habite à Londres avec son mari et son fils de 4 ans, est amie avec George Clooney et parle de temps à autre à Jennifer Lawrence au téléphone. Son livre, Tel est mon métier, va être adapté au cinéma par Steven Spielberg et a figuré, à sa sortie aux Etats-Unis, sur la liste de best-sellers du New York Times. Mais les apparences sont trompeuses : Lynsey Addario n’est pas la nouvelle Gillian Flynn. Elle est photographe de guerre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Depuis vingt ans, elle parcourt le monde en quête d’histoires à raconter, de vérités qui dérangent à lancer à la face du monde. Elle connaît le Darfour, le Congo, l’Afghanistan, la Libye et l’Irak bien mieux que son Connecticut natal, qu’elle a définitivement quitté au sortir de l’adolescence (elle a aujourd’hui 42 ans), est aussi familière du monde musulman que les plus grands spécialistes. Elle y a des amis et des contacts, elle y a vu mourir des dizaines de gens et a plusieurs fois failli elle-même y perdre la vie.
Un terrible état des lieux géopolitique de ces quinze dernières années
Addario se décrit comme “la parfaite convive à un dîner”, parce qu’elle a “plein d’histoires à raconter”. Et c’est exactement ce que l’on ressent en dévorant les 350 pages de son livre. Pas une autobiographie à proprement parler – Addario n’a pas ce genre d’ego – mais plutôt une compilation de récits et de réflexions, qui révèle en filigrane sa personnalité singulière et dresse un terrible état des lieux géopolitique de ces quinze dernières années, en abordant au passage des problématiques féminines et contemporaines passionnantes.
Reportage embarqué avec l’armée américaine en Irak en 2007
Dans le monde musulman, où elle travaille et où son sexe lui a souvent valu un traitement à part ; dans celui des reporters de guerre, plein de testostérone et de virilité ; et dans celui des militaires, qu’elle côtoie quotidiennement sur le terrain, Lynsey Addario est une femme dans un monde d’hommes.
Et sa féminité est comme un fil rouge dans ce livre. Une limite dans certaines situations, un incommensurable atout dans d’autres, elle garantit un point de vue qui donne à son analyse – et donc à ses souvenirs – un supplément d’âme, jusqu’au récit insensé de ce reportage embarqué avec l’armée américaine en Irak en 2007, aux côtés d’une journaliste du New York Times enceinte de cinq mois.
“J’ai été kidnappée en 2011 en Libye”
“Le projet à l’origine de Tel est mon métier était un livre de photos, se souvient-elle. J’ai été kidnappée en 2011 en Libye et à mon retour je savais qu’il fallait que je ralentisse, que je fasse le point. Mais deux de mes collègues et amis ont été tués là-bas, et je ne me suis plus du tout senti la force de regarder ces images. J’ai donc opté pour l’écriture et me suis mise au travail : j’ai relu mes journaux, mes mails, ma correspondance…
“Et puis je suis tombée enceinte. J’étais terrifiée à l’idée qu’un enfant m’empêche de travailler, mette fin à cette liberté qui me permet de sauter dans un avion à tout moment… Au début, j’ai travaillé comme une folle, et j’écrivais dès que j’avais un instant. Et puis, à huit mois de grossesse, j’ai dû arrêter la photo, et je me suis consacrée à l’écriture. Après la naissance de mon fils, dès que je revenais à la maison entre deux jobs, j’écrivais.”
Epaulée par une amie journaliste au New Yorker, Addario a alors trouvé sa voix : une langue limpide, qui ne contourne aucun sujet gênant (la place de la beauté dans le reportage de guerre, la crise de la presse, la censure…), pousse le lecteur dans des retranchements intimes et, comme tout récit d’héroïsme, force à se questionner sur sa propre bravoure.
“Quand j’entends une explosion, je ne m’enfuis pas, je me précipite vers le bruit”
Des années durant, tout ce qui n’était pas combat, guerre, famine, scène sur laquelle pointer son objectif pour rendre compte obstinément de ce dont elle était témoin, fut rejeté à la périphérie de son existence. Pourtant, Lynsey Addario a fini par trouver l’homme qu’il lui fallait, qui accepte ce fou besoin de liberté, cet appel du danger qu’elle seule peut entendre et comprendre. “Quand j’entends une explosion, je ne m’enfuis pas, je me précipite vers le bruit”, raconte-t-elle au sujet d’un reportage en Irak.
Photo-reporter, ça n’est peut-être pas vraiment un métier, mais plutôt une mission ou un sacerdoce, qu’elle continue d’exercer pour les plus grands journaux américains, parfois envers et contre tout, comme cette fois où elle a découvert en revenant d’un reportage sur le cancer du sein en Ouganda que le New York Times ne publiait pas de photos de tétons !
“Créer de l’inconfort, mettre les gens mal à l’aise.”
“Mes photos se doivent d’être honnêtes, mais elles doivent aussi proposer au lecteur un point d’entrée, sinon il tourne la page. Mon métier, c’est aussi de créer de l’inconfort, de mettre les gens mal à l’aise.” Dans les mois qui viennent, Lynsey Addario va retourner au Darfour et poursuivre son travail aux Etats-Unis sur les vétérans. Envers et contre tout.
Tel est mon métier (Fayard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Karine Laléchère, 350 pages, 24 €. En librairie le 4 avril
{"type":"Banniere-Basse"}