Avec Une colère noire, un livre-manifeste récompensé par le National Book Award, Ta-Nehisi Coates est devenu un porte-voix puissant dans une Amérique toujours en proie à ses démons raciaux.
La popularité de Ta-Nehisi Coates a explosé du jour au lendemain. Journaliste pour The Atlantic après avoir écumé les rédactions de petits hebdos, le quadra écrivait des chroniques semi-autobiographiques avec plus ou moins de succès. Et puis il y a eu la mort de Michael Brown, d’Eric Garner, de Tamir Rice, de Walter Scott… tous Afro-Américains et tous tués par la police.
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La dénonciation d’un racisme structurel
Comment se fait-il qu’un pays dirigé par un président noir continue d’engendrer une telle violence raciale ? Coates repense à un de ses amis d’enfance, un modèle de réussite loin du ghetto, pourtant lui aussi assassiné par un policier. Ta-Nehisi ébauche alors une lettre à son fils de 15 ans : “Voilà ce qu’il faut que tu saches : en Amérique, la destruction du corps noir est une tradition – un héritage.”
Exit l’optimisme de l’Oncle Sam, adieu le “Rêve” de la gentille banlieue où chacun a droit à sa part de bonheur. L’Amérique vue par Coates n’a rien de la vision progressiste d’un Martin Luther King ou du symbole “postracial” façon Obama. Le racisme est structurel, et c’est même grâce à lui que les Etats-Unis sont nés. “Nos corps financent encore et toujours le Rêve d’être blanc. La vie noire ne vaut pas cher, mais en Amérique les corps noirs sont une ressource naturelle d’une valeur incomparable”, écrit-il dans Une colère noire (Between the World and Me, en VO).
Les hommages de Toni Morrison, prix Nobel et Pulitzer
“Il écrit sans espoir mais c’est quelqu’un de très sympathique”, sourit Jelani Cobb, professeur d’histoire à l’université du Connecticut et ami de vingt ans de Ta-Nehisi. Invité à débattre sur tous les plateaux, de CNN à Buzzfeed, Coates reçoit les hommages de Toni Morrison, prix Nobel et Pulitzer, et une flopée de prix dont le prestigieux National Book Award.
Marvel lui propose de scénariser les aventures du superhéros Black Panther ; HBO le fait travailler sur une série consacrée aux mouvements civiques avec David Simon (The Wire). Le journaliste s’installe tant et si bien dans la psyché US que même le site parodique Funny or Die fait dire à Malia Obama : “J’aurais tellement aimé que Ta-Nehisi Coates soit mon père.”
Une combinaison de hip-hop, de féminisme et de poésie
Né à Baltimore en 1975 dans un quartier difficile, rien ne destine pourtant Ta-Nehisi (“Nubie” dans un ancien dialecte égyptien) à squatter la table de chevet du président des Etats-Unis. Il grandit dans un foyer de classe moyenne (mère prof, père bibliothécaire ex-Black Panther), où tous les livres qu’on y trouve ont été écrits par des auteurs noirs et où l’on vénère Malcolm X.
A la fac, Coates se met à écrire en combinant hip-hop et poésie. Il fréquente les cercles intellos et artistiques, s’intéresse au féminisme (auquel il emprunte la rhétorique du “corps” massacré par le système) et tente de se faire un nom. Mais c’est à 20 ans, en rencontrant David Carr, ex-toxicomane devenu grande figure du New York Times, qu’il se lance dans le journalisme.
Un portrait au vitriol de Bill Cosby
“David ne s’est jamais intéressé à l’objectivité, il croit au pouvoir d’une bonne histoire face à une chronique argumentée de huit cents mots. L’arc narratif est le cheval de Troie qui permet de faire éclater les idées les plus radicales et de transformer la cité”, écrivait Coates en mémoire à son ami mort l’année dernière. Un mantra qui ne le quittera plus.
Père à 24 ans d’un petit Samori (en référence à un leader d’Afrique de l’Ouest qui a résisté aux forces coloniales françaises au XIXe siècle), Ta-Nehisi galère de rédaction en rédaction avant d’être embauché à The Atlantic. Son premier coup : un portrait de Bill Cosby, accusé de piétiner les valeurs afro-américaines, intitulé “C’est comme ça qu’on a perdu face à l’homme blanc”. Déjà à l’époque, le papier crée la controverse.
“A Paris, je suis un Américain avant d’être un Noir”
“Quand les gens qui ne sont pas noirs s’intéressent à ce que je fais, franchement, je suis toujours surpris, confie Coates au magazine New York. Peut-être que j’ai de faibles attentes à l’égard des Blancs.” A l’heure actuelle, Coates ne rencontre pas d’opposition frontale. Les conservateurs ne se sont pas encore intéressés à lui et les libéraux antistructuralistes se sont évanouis dans la nature. “En fait, l’idée que le progrès n’est pas inévitable fait son bout de chemin au sein de la gauche américaine”, estime le journaliste britannique Simon Kuper.
Loin du tumulte de la présidentielle US, Ta-Nehisi Coates s’est installé en famille à Paris. “Ici, je suis un Américain avant d’être un Noir”, dit-il au Financial Times. Entre deux cours de français, Coates observe la ville : “Quand je vois des gens ouvrir des bouteilles de vin au canal Saint-Martin, dans mes yeux d’Américain je vois un espace public où une bagarre pourrait éclater et quelqu’un pointer une arme à feu.” Aux yeux de Coates, tout est chaos.
Une colère noire – Lettre à mon fils (Autrement), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thomas Chaumont, 208 pages, 17 €
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