Moitié végétal moitié humain, l’antihéros Swamp Thing voit ses aventures les plus intemporelles rééditées, en premier lieu celles écrites par un Alan Moore en pleine expérimentation.
Héros d’une série télé annulée dès sa première saison au début de cet été, le personnage de Swamp Thing, apparu pour la première fois en 1971 le temps d’un court récit, aurait pu rejoindre la foule de monstres anonymes qui habitaient alors les comics d’horreur américains depuis l’essor des publications sentant le souffre telles Eerie et Creepy.
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Mais ses deux créateurs, le scénariste Len Wein et le dessinateur Berni Wrightson ont senti qu’ils tenaient un filon avec cette créature aussi humaine que fangeuse, bien éloignée des super-héros. Pourtant, comme certains d’entre eux, elle est la conséquence d’un improbable accident.
Un savoureux suspense, théâtral et légèrement suranné
Alors qu’il travaille avec son épouse à l’élaboration d’une formule censée sauver le monde de la faim, le chercheur Alec Holland est victime d’une bombe. Au lieu de mourir, il fusionne avec le marais voisin pour renaître en un être végétal.
Traversées par des loups-garous, des sorciers et quantité d’êtres difformes à la Frankenstein, ses premières aventures proposent un savoureux suspense, théâtral et légèrement suranné. Mais, en sous-main, elles luttent contre les préjugés, le fanatisme et l’obscurantisme, tournant sans cesse autour de la même question : qui est le monstre ?
Rééditées ici en noir et blanc, ces pages historiques permettent de mieux apprécier le trait de Wrightson, un des stylistes les plus mémorables de la BD fantastique avec Richard Corben.
Le destin de Swamp Thing aurait pu être moins glorieux si, au début des années 1980, un jeune et ambitieux scénariste n’avait pas été appelé à la rescousse. A partir du moment où on lui confie la série, Alan Moore réécrit de manière radicale le concept de départ qu’il juge bancal – « grosso modo Hamlet sans la morve », confiera-t-il.
Son stupéfiant reboot revient à tuer Alec Holland avec effet rétrospectif. Le chercheur ne s’est jamais transformé en plante, c’est au contraire la végétation qui a cru être homme. Swamp Thing devient alors un objet avant-gardiste où Moore ne s’interdit rien, comme de commencer un épisode par un extrait du script de La Nuit du chasseur.
Cachée dans le bayou humide de la Louisiane, la créature filandreuse constitue sous la plume de Moore un véhicule narratif tout-terrain qui permet d’aborder des sujets hélas intemporels tels que le racisme ou le sexisme.
Inspiré d’un tableau de Goya
L’histoire dans laquelle la flore terrestre se révolte contre les humains, en multipliant sa production d’oxygène dans des proportions mortelles, n’a pas non plus perdu de sa troublante pertinence. Dans son entreprise à la fois expérimentale et poétique, l’Anglais a eu la chance de pouvoir compter sur le dessinateur américain Stephen « Steve » Bissette.
Celui-ci, s’inspirant d’un tableau de Goya, explosant le cadre de la page, réalise des prouesses inédites pour soutenir les idées folles et cauchemardesques de son collègue. Le duo va tellement loin dans la description de la peur qu’il défie la censure américaine et finit même par l’emporter.
Entamant un cycle de rééditions haut de gamme, ce premier volume se termine sur une hallucination : une scène d’amour psychédélique et sensible entre une jeune femme, Abigail, et Swamp Thing.
Swamp Thing la créature du marais de Len Wein, Tom King, Berni Wrightson, Jay Fabok (Urban Comics), traduit de l’anglais (E.-U.) par Maxime le Dain, 408 p., 35 €
Alan Moore présente Swamp Thing Tome 1, de Len Wein, Alan Moore, Steve Bissette (Urban Comics), traduit de l’anglais (E.-U.) par Alex Nikolavitch, 448 p., 35 €
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