Chercheuse en « Science Studies” à Berkeley, Hélène Mialet publie “A la recherche de Stephen Hawking” et montre en étudiant le génial savant handicapé et son entourage comment se « fabrique” la science.
Alors qu’au moment de la découverte de sa maladie, les médecins lui donnaient deux ans à vivre Stephen Hawking est toujours là, cinquante après. Et il continue à se soucier du futur, sinon le sien mais celui de l’humanité, puisqu’il vient de cosigner dans The Independant une tribune où il s’inquiète des risques que ferait courir à notre espèce l’intelligence artificielle (AI), en donnant aux machines la capacité de décider à notre place. Evoquant le film de SF Transcendance, qui sort en France en juin dans lequel Johnny Depp voit son cerveau “uploadé” sur un superordinateur, il s’alarme des progès de l’AI, qui pourrait devenir le “plus grand événement de l’histoire de l’humanité” mais aussi “unfortunatly, le dernier” !
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Pourtant, comme le montre Hélène Mialet, dans son ouvrage A la recherche de Stephen Hawking, (Odile Jacob) peu d’êtres humains sont autant que lui redevables des prouesses de la cybernétique. Il leur doit sa survie et ses découvertes, son existence quotidienne et sa notoriété internationale. Cette chercheuse en science studies à Berkeley s’intéresse depuis des années à ce pur esprit, enchaîné à son fauteuil et ne communiquant plus que par l’intermédiaire de systèmes informatiques ultraperfectionnés, devenu un véritable “cyborg”, au sens que donne à ce terme Donna Haraway “organisme cybernétique, hybride de machine et de vivant”.
Il y a longtemps que la sociologie, science qui remet en question l’individualité, s’interroge sur l’énigme du génie. Le grand sociologue Norbert Elias s’y était intéressé dans le domaine de la musique avec son étude sur Mozart. Sociologie d’un génie. Proche du philosophe des sciences Bruno Latour, qui a travaillé sur Pasteur, autre icône de la science; Hélène Mialet s’est attachée à déconstruire la figure de ce personnage, considéré comme “le plus grand scientifique depuis Einstein”, qui reflète jusqu’à la caricature l’idée commune du “grand savant”, du “génie solitaire”, censé être capable par la puissance de son cerveau XXL de découvrir les secrets de l’univers.
Et quel meilleur sujet d’étude que cet infirme dont Newsweek affirme qu’il lit dans “l’esprit de Dieu”, ? Cet homme qui ne peut bouger ni la tête ni les mains depuis quarante ans, qui a perdu la voix après une trachéotomie mais continue à travailler, à publier, à voyager, à faire des conférences devant un public admiratif, et auquel on attribue des découvertes fondamentales…
Hélène Mialet, en ethnologue intrépide, fidèle à l’esprit de ses prédécesseurs étudiant les mœurs des Nambikwaras ou des Kwakiutl, s’est plongée dans le monde mystérieux des laboratoires, à la découverte de ce personnage de légende qu’elle a rencontré personnellement, dont elle a interviewé l’entourage, étudiants, assistants, infirmières… Elle décrit les appareils qui lui permettent de communiquer : le logiciel dont il se sert pour écrire grâce aux mouvements de sa joue, sa voix synthétique. Elle analyse ses méthodes de travail, sa collaboration avec des étudiants de haut niveau qu’il sélectionne et auxquels comme tout chercheur il confie des problèmes et des hypothèses ardues.
Elle montre comment s’organise une conférence, comment sur un simple clignement de la joue du savant se met en branle une organisation complexe et laborieuse qui aboutira à des voyages compliqués – et elle n’oublie pas de signaler qu’il est arrivé à ce grand esprit de faire rouler son fauteuil sur les pieds de quelqu’un qu’il n’aimait pas.
Elle décrypte ainsi, en accord avec les théories épistémologiques, comment se “fabrique” la science, avec ses pratiques, ses protocoles, son réseau de collaborateurs et de “petites mains”, qui bien qu’indispensables ne verront pas leur nom apparaître à la fin de l’article de la revue prestigieuse qui couronnera le travail du chercheur. En fait, comme elle l’a écrit dans La Recherche “Stephen Hawking est l’opposé du génie solitaire” dans sa tour d’ivoire.
A ce titre, Hawking n’est pas fondamentalement différent des autres scientifiques. Mais la gravité de ses handicaps impose un système d’une telle complexité qu’elle fait de “Hawking-le-grand-chercheur” “la métaphore” incarnée de ce que les sociologues appellent “l’acteur-réseau”. Ce réseau qui permet de comprendre comment fonctionne la hiérarchie à l’intérieur des systèmes sociaux aussi différents que l’entourage des chefs d’Etat et des pop stars.
Mais surtout Hélène Mialet met en avant ce qu’elle appelle le “corps étendu” , ce mix d’humain et de non-humain grâce auquel Hawking peut voyager et travailler. Cette intrication indéterminable de l’homme et de la machine est particulièrement fascinante, puisqu’elle fait de Hawking une préfiguration de ce qui pourrait être une nouvelle forme d’humanité. Cette idéologie que l’on appelle le transhumanisme, cher au gourou de la “singularité” Ray Kurzweil, avec ses théories qui fascinent les patrons de Google et les moguls de la Silicon Valley. En devenant un être hybride entre l’homme et la machine, le savant ne représente-t-il pas exactement ce qu’il veut dénoncer dans sa tribune ? Stephen Hawking incarne peut-être l’avenir de l’homme.
A la recherche de Stephen Hawking par Hélène Mialet, éditions Odile Jacob, 168 pages
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