Publié le 10 janvier, le récit autobiographique du prince Harry bat des records de vente. “Spare” serait même “l’ouvrage non-fictionnel le plus vendu de tous les temps au Royaume-Uni”.
Spare est sorti en France avant-hier chez Fayard, avec un premier tirage de 200 000 exemplaires. En Angleterre, il s’est écoulé à 400 000 exemplaires dès le premier jour. Harry prétend avoir mis deux ans à l’écrire. Pas un mot de son ghostwriter, mais on le devine en filigrane en lisant le texte : le ghostwriter, c’est sa mère morte, Diana. Spare est sa vengeance d’outre-tombe – contre Charles, contre Camilla, “the wicked stepmother” comme la nomme son beau-fils.
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Spare, c’est une tragédie œdipienne ou shakespearienne, mais sans Freud ni Shakespeare. “C’est Game of Thrones, mais sans les dragons”, s’est exclamé le journaliste américain qui interviewait Harry pour les États-Unis et s’est avéré bien meilleur que le journaliste anglais qui faisait de même pour ITV. “Je n’ai jamais regardé Game of Thrones”, a répondu Harry en souriant, “mais vous avez tort, il y a des dragons. Et ces dragons, c’est la presse britannique.” Et ça n’a pas manqué : la presse britannique lui est retombé dessus cette semaine avec la sortie de ce tell-all book, où l’on apprend en effet un peu de tout – qu’il a longtemps cru que sa mère était toujours en vie, que son frère l’a frappé, que Camilla l’a trahi, que “Meg” a vomi (à cause d’un déjeuner de calamars) lors de leur quatrième rendez-vous et qu’il lui tenait les cheveux.
En Angleterre, on a assisté à une compétition entre journaux pour publier le plus de scoops et de spoilers, tout en descendant Harry avec mépris. Il est de bon ton de ricaner sur le dos de ce supposé gros naïf qui a la vulgarité de parler de ses émotions et de s’expliquer en public, plutôt que de manipuler la presse en privé comme l’a toujours fait sa famille.
Dans une monarchie et un pays dont le mantra est “never explain, never complain”, Harry ose parler. On a découvert une famille dysfonctionnelle comme toutes familles, mais mariée à la presse, et dont chacun·e des membres est tellement accro à son image médiatique qu’il et elle est prêt·e à trahir pour la protéger. Camilla qui leaks régulièrement ce qu’elle veut pour réécrire l’histoire, se faire passer pour une bonne personne, enfoncer ses adversaires. Harry a tapé juste : sur la presse tabloïd mais aussi la presse mainstream, parce que celle-ci s’est laissée influencée par les tabloïds, les commérages, le ouï-dire, la rumeur, et surtout, la pression populiste. Et il a raison : la presse anglaise est obscènement partisane pour un pays dit démocratique.
C’est la raison pour laquelle je trouve qu’Harry a un certain panache à se tenir debout, droit et seul face aux médias britanniques. Jusqu’au moment où je me rappelle que Meghan et lui ont vendu leur histoire pour cent millions de dollars à Netflix, et que l’avance de Random House/Penguin pour Spare s’estimerait à vingt millions de dollars. Dommage. Sans l’argent, il aurait fait plus de dommages à une monarchie inutile, plus préoccupée de sauvegarder ses privilèges et ses propres millions que d’aider son pays.
Édito initialement paru dans la newsletter livres du 12 janvier. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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