Vingt ans après, Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero reprennent les aventures de Corto Maltese. Pas facile de succéder à Hugo Pratt.
Les dernières aventures de Corto Maltese, publiées en 1992, l’entraînaient dans un voyage onirique à la recherche d’un continent perdu (Mû). Hugo Pratt décédait trois ans après et Corto ne devait plus arpenter le monde. Il aura fallu attendre plus de vingt ans pour que le personnage soit repris par d’autres auteurs, choisis par les ayants droit d’Hugo Pratt. Dans Sous le soleil de minuit, le dessinateur espagnol Rubén Pellejero redonne chair au mythique marin.
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Un choix judicieux car Pellejero, maître du noir et blanc, a notamment illustré Dieter Lumpen, une série des années 80 qui marchait sur les traces de Corto Maltese. Et Pellejero relève fort bien le défi. Son dessin est fidèle à l’esprit de Pratt, avec des encrés saisissants et de beaux cadrages, tout en restant personnel, vif et délié.
Côté scénario, c’est l’auteur de Blacksad Juan Díaz Canales, qui est aux commandes. Après un prologue un peu artificiel, prétexte pour faire brièvement apparaître le bandit/ami de toujours Raspoutine, on entre lentement dans le récit, qui commence en 1915, après la fin de La Ballade de la mer salée. Dans une lettre, Jack London demande à Corto d’aller à Nome, en Alaska, remettre un message à une femme qu’il a aimée, Waka Yamada.
Scénario dispersé
Pour cette première incursion en Amérique du Nord, Corto va croiser une foule de personnages imaginaires ou – une tradition chez Pratt – bien réels : l’explorateur noir de l’Arctique Matthew Henson, la nourrice de London Jenny Prentiss, la féministe Waka Yamada elle-même… Ces (trop) nombreux autres personnages disparaissent aussi vite qu’ils apparaissent. Le scénario se construit par à-coups au gré de ces rencontres, et se disperse. On y parle des patriotes irlandais luttant contre la domination anglaise au Canada, de la course au pétrole en Arctique, de la cause des Inuits, du sort des prostituées dans le Grand Nord…
Dénouement décevant
Cette succession de péripéties ne suffit pas à donner du corps au récit qui glisse vers un dénouement un peu décevant qu’on imaginerait plutôt pour Deadwood. Corto, comme toujours détaché et humaniste, est ici paradoxalement presque trop en retrait derrière la galerie de personnages secondaires et une multitude de détails signifiants – on trouve par ici une référence littéraire, par là une allusion ésotérique ou un bon mot ironique.
Pas de doute, on est bien chez Corto Maltese, mais à trop respecter les codes, les contraintes et les passages obligés, on en oublie de souffler. Et malgré la bonne idée de départ (Jack London, piste vite délayée), il manque à ce Corto Maltese la spiritualité et la poésie qui irriguaient l’œuvre d’Hugo Pratt.
Sous le soleil de minuit (Casterman), traduit de l’espagnol par Anne-Marie Ruiz, 88 p., 16 € ; édition noir et blanc, 96 p., 25 €
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