Les chroniques de l’écrivaine turque, sur lesquelles le régime s’est appuyé pour l’arrêter et l’emprisonner, sortent en recueil. Le silence même n’est plus à toi est une lecture politique et salutaire.
Parce qu’elle collabore depuis dix ans au journal pro-kurde Ozgür Günden, l’écrivaine Asli Erdogan (aucun lien de parenté avec le chef de l’Etat) a été arrêtée dans la nuit du 16 au 17 août 2016 par les autorités turques, pour “appartenance à une organisation terroriste”, en même temps que les vingt autres membres de la rédaction de ce journal d’opposition. Asli Erdogan est, aux côtés d’autres journalistes et intellectuels, l’une des victimes de la purge massive lancée par le président Erdogan après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet.
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Ce soir-là, la romancière avait failli mourir : des snipers tirent à l’aveugle dans la foule. C’est par le récit de cette nuit de violence et de folie, “Au pied du mur”, que s’ouvre le recueil de ses chroniques qu’Actes Sud publie en signe de soutien et de protestation. Au total, près de trente textes extrêmement littéraires et courageux, mais aussi profondément tristes, voire désespérés, sur l’état d’une société turque criminelle, négationniste, de plus en plus répressive.
Un combat pour la liberté d’expression
Asli Erdogan soutient les Kurdes (elle dénoncera le viol de filles kurdes par la police turque), se bat pour la liberté d’expression, s’érige contre la négation du génocide arménien perpétré par les Turcs. “Quel mot peut reprendre et apaiser le cri de ces enfants arméniens jetés à la fosse”, écrit-elle dans “Nous sommes coupables”.
Et plus loin : “Nous avons commis, dans ce pays, un crime si atroce que ceux qui en ont été les victimes ont trouvé ces mots pour le nommer, ’Grande Catastrophe’, nous avons éradiqué un peuple. (…) Accuser la victime de mensonge, c’est rejeter le crime sur ceux qui en sont les martyrs… Voilà sans doute pourquoi nos terres sont couvertes de fosses, que nous creusons et refermons sans cesse. Jonchées d’os, de cendres, de silence…”
Les violences de l’Etat turc, Asli Erdogan en porte elle-même les plaies. Née en 1967 à Istanbul, elle a vu ses parents arrêtés, elle sait qu’ils ont été torturés par les régimes turcs issus de putschs dans les années 1980 et 1990. Physicienne, elle a travaillé au Centre européen de recherche nucléaire à Genève, qu’elle quittera pour se consacrer à l’écriture.
“Je ne veux pas être complice de l’assassinat des hommes, ni de celui des mots”
Depuis, elle a publié cinq romans, dont Le Bâtiment de pierre (2009, publié en France en 2013), sur le monde carcéral. “Les tribunaux sont des lieux froids et sinistres, ils nous offrent le spectacle d’une gigantesque prison d’où nul ne s’évade jamais, d’une balance dont l’injustice alourdit les deux plateaux”, écrivait-elle dans “Le silence même n’est plus à toi”, chronique qui donne son titre au recueil.
Après plus de quatre mois de détention, Asli Erdogan a été remise en liberté sous contrôle judiciaire le 29 décembre 2016, à la suite de la première audience de son procès (avec d’autres rédacteurs d’Ozgur Gunden). Son jugement sera prononcé autour du 14 mars.
Le silence même n’est plus à toi d’Asli Erdogan (Actes Sud), traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, 176 p., 16,50 €
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