Dans « Lettres à l’ado que j’ai été » (sortie le 14 mars), l’auteure Jack Parker rassemble les souvenirs de (grands) adolescents. Entre confidences et mises en garde, les adultes d’aujourd’hui ont beaucoup à dire à aux ados du passé. Et à ceux de maintenant.
« Salut toi ! », « Chère [moi] de quatorze ans », « Ma très chère Moi »… Comment interpeller son soi du passé ? Par quelle formule ? Une fois cette première question tranchée, la suite est vertigineuse. Quel ton employer ? Première ou deuxième personne ? Familiarité ou distance respectueuse ? Et surtout : que (se) dire ?
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Ces questions – un peu saugrenues -, les vingt-huit participants du recueil Lettres à l’ado que j’ai été (Flammarion) ont bien dû se les poser. A l’invitation de la journaliste et auteure Jack Parker (qui a aussi signé Le Grand Mystère des règles), chacun s’est plié à cet exercice épistolaire, plus ardu qu’il n’en a l’air : écrire à l’adolescent qu’ils étaient. « Pendant la rédaction, beaucoup sont revenus vers moi en me disant : ‘Je n’y arrive pas’, ‘C’est difficile’ ou ‘J’arrête pas de pleurer, ça fait remonter tellement de trucs' », s’amuse Jack Parker, avant de poursuivre :
« C’est un exercice plutôt intense, mais salutaire. Je pense qu’il est important de recréer le lien entre l’adolescent qu’on a été et l’adulte qu’on est devenu. Une fois grandi, il peut être tentant de fantasmer cette période, ou au contraire de totalement l’occulter. Mais c’est une étape importante, qui nous façonne profondément. »
« Méfie-toi de ta colère »
Occulter son adolescence, cela a pu être une tentation pour Jack Parker. La sienne a été particulièrement douloureuse : victime de harcèlement scolaire, la jeune Taous (de son vrai prénom) a vécu sa jeunesse comme un calvaire. Il prendra fin que lorsqu’elle interrompt ses études, tôt, à 16 ans, après avoir développé une sérieuse phobie scolaire.
« J’ai commencé à être harcelée dès mon entrée au collège, c’était très soudain et très violent, se souvient-elle. A l’époque on n’en parlait pas, ça n’existait pas. Ou pire : c’était normal« . Si la situation a un peu changé aujourd’hui, il reste encore du chemin à parcourir. Les droits d’auteurs de l’ouvrage seront d’ailleurs intégralement reversés à l’association « Marion la main tendue », qui soutient la lutte contre le harcèlement scolaire.
Que dire à son « moi » du passé ?
Aussi variées que soient les expériences, toutes celles relatées dans le recueil témoignent d’une période de doutes, d’incertitudes, de questionnements. Les participants sont pour beaucoup issus de la « culture web », que Jack Parker connaît bien (comme les bédéistes Boulet et Mirion Malle, les vidéastes Marion Seclin, Patrick Baud, Flober), mais pas que (la réalisatrice Ovidie, la journaliste Nadia Daam). « Ce sont surtout des gens que je connais, amicalement ou professionnellement, et dont j’apprécie le travail », explique Jack Parker.
« C’est un cliché, mais souvent le bizut du fond de la classe, l’adolescent mal dans sa peau, c’est celui qui crée, qui va devenir acteur, dessinateur, vidéaste… D’où une certaine fascination pour les losers dans la pop culture ! »
Le résultat, ce sont des textes aux tons variés, plus ou moins légers, toujours touchants. « Ils n’y avaient pas de contraintes en dehors du format, explique encore l’auteure. Et ce fut une très belle surprise de découvrir les parcours de chacun ». Il est vrai que les textes frappent par leur sincérité, qui tient parfois de la confession, mais préserve aussi, des parts d’ombre, propres aux confidences. « Comme j’en connais beaucoup, et que la plupart sont des artistes, des créatifs, qui ont une personnalité publique, je pouvais avoir des idées préconçues sur ce que j’allais lire. Mais j’ai découvert des choses que je n’aurais pas soupçonnées », raconte encore Jack Parker.
Retour vers le futur
Si chaque texte porte la marque de la personnalité de son auteur, on observe aussi des convergences. Beaucoup s’amusent des paradoxes (temporels) de l’exercice, à coup de références pop à Retour vers le futur, ou de pseudo-révélations sur les technologies à venir (attends un peu Internet, tu ne vas pas en croire tes yeux !).
Les lettres sont surtout l’occasion de se donner des conseils et de se rassurer : « Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas », lit-on souvent. Ce sont aussi, pour les filles surtout, des premières mises en garde contre le sexisme, les violences, et des encouragements à continuer, à ouvrir les yeux, à prendre confiance en elles et en leurs capacités.
Parfois aussi, comme pour la comédienne Océanerosemarie, c’est un : « Je ne t’aime pas« , péremptoire, qui sonne comme un couperet. Mais qui permet aussi de regarder en face la personne que l’on a été. Et de mesurer le chemin parcouru.
Autant de conseils et d’encouragements destinés aussi aux ados de maintenant, à ceux qui auront peut-être le livre entre les mains. « J’ai envie de leur dire de prendre leur temps. Que c’est normal de ne pas comprendre ce qui se passe, d’être en colère, de se sentir incompris. Mais que ça va venir« , souffle Jack Parker.
« De manière générale, les ados d’aujourd’hui m’impressionnent. J’ai l’impression qu’au même âge, j’avais une visibilité beaucoup plus réduite sur le monde. Je les trouve plus impliqués, plus investis. Par exemple ces jeunes américains de Parkland [mouvement d’opposition lobby des armes aux États-Unis, né dans le sillage d’une fusillade meurtrière au lycée de Parkland, en Floride]. Ils sont acteurs du changement. J’ai hâte de voir ce qu’ils vont devenir. »
Jack Parker (dir), Lettres à l’ado que j’ai été, Flammarion, 2018.
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