L’auteure de 28 ans offre un quatrième roman ardent, violent et moderne qui lie errance et insurrection dans un récit d’initiation qui incite à l’insoumission.
Enfant, Justine, la narratrice du quatrième roman de Justine Bo (attention, mise en abyme !), était fière de dire qu’elle s’appelait ainsi “à cause du marquis de Sade”. Mais à 17 ans, quand l’adolescente lit enfin le premier roman du libertin embastillé, elle est horrifiée. Justine, découvre-t-elle, est “débile”, “crédule”, “indulgente et passive”. Plus grave encore : “Violée toutes les une page et demie environ”, elle “en redemande”.
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La jeune femme comprend que sa mythologie intime est construite de violences, sexuelles, sociales, symboliques et physiques. “Des folies d’un autre siècle” auxquelles elle est sans cesse ramenée à la simple évocation de son prénom. “Le monde n’avait pas bougé, réalise-t-elle dix ans après, il n’y avait pas assez d’une vie pour s’extirper de ce bourbier”.
Fille d’ouvrier, née dans une petite ville de la côte normande, où l’on reçoit surtout le désœuvrement et l’alcoolisme en héritage, Justine-la narratrice n’a qu’un objectif : “s’en sortir”. Echapper à ce conditionnement qu’elle a découvert en lisant Bourdieu et qui la condamne à répéter le modèle familial, cette malédiction sociologique de “la reproduction sociale”. Dès lors, la jeune femme s’échappe. Quête de liberté ou fuite en avant, le choix n’est pas clair. Mais partout elle se heurte aux inégalités et aux injustices. L’initiation est surtout celle de la brutalité.
Un art vibrant des luttes d’aujourd’hui et une prose de combat
A Paris, où elle intègre Sciences Po et travaille comme jeune fille au pair chez des artistos à double particule, elle fait l’expérience du machisme et du mépris de classe. A Damas, en stage à l’ambassade alors que résonnent les premiers troubles révolutionnaires, elle découvre l’hypocrisie de la diplomatie et l’absurdité de la dictature. A New York enfin, devenue documentariste, elle prend acte du cynisme capitaliste, de sa vulgarité. A chaque territoire son déferlement de violences.
Le texte de Justine Bo est tissé d’échos intimes et de fragments autobiographiques. L’auteure partage avec son héroïne des origines ouvrières, des envies d’ailleurs et une humeur intranquille. On retrouve, chez l’une comme chez l’autre, une soif insatiable de révolte.
Devenue réalisatrice de films et écrivaine, Justine Bo n’a de cesse de lutter contre l’impossibilité de dire ou de faire à laquelle sa naissance semblait la condamner. Comme une arme qu’elle affûte d’œuvre en œuvre, son art vibre des luttes d’aujourd’hui et sa prose de combat se lit comme une déclaration d’affranchissement autant que comme un appel ardent à l’insoumission. Léonard Billot
Si nous ne brûlons pas (Equateurs), 294 p., 20 €
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