Dans Satin Island, roman futuriste, un anthropologue décrypte les phénomènes sociaux pour le compte d’une multinationale. Tom McCarthy confirme l’acuité de son regard critique.
Livre après livre, Tom McCarthy construit une œuvre singulière et idiosyncrasique, nourrie par certains thèmes de prédilection qui sont autant d’obsessions : la catastrophe, l’illusion du réel, ou encore les liens entre la mort, la technologie et le voyage, théorisés avec l’International Necronautical Society, son “mouvement d’avant-garde”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Auteur de plusieurs manifestes et d’un essai (Tintin et le secret de la littérature), “l’enfant terrible des lettres anglaises”, comme on le surnomme parfois, reste avant tout un romancier, connu pour Et ce sont les chats qui tombèrent et C, finaliste du Man Booker Prize en 2010.
Une superentreprise mondiale aux pouvoirs illimités
Satin Island, son dernier roman, également sur la short list du prestigieux prix en 2015, est le plus abouti, concis et audacieux à ce jour. On y retrouve le héros mccarthyien, un homme solitaire, névrosé et paranoïaque. U. est embauché par la Compagnie, une superentreprise mondiale aux pouvoirs illimités, en tant qu’anthropologue.
Son job : analyser tous les phénomènes sociaux, culturels ou politiques, les choses les plus banales, comme autant de signes à déchiffrer. “Désormais, les anthropologues travaillaient pour les sociétés, pas sur elles”, écrit le narrateur. Fini le temps des tribus sauvages de Lévi-Strauss, bienvenue dans le désert du réel où les mugs et les coupons de réduction ont valeur de totems.
Dirigée par son mystérieux pdg aux allures de gourou, Peyman, la Compagnie prend peu à peu le contrôle de notre monde hyperconnecté, grâce un storytelling vague mais efficace. “Ce que je veux que vous fassiez, c’est que vous nommiez ce qui arrive en ce moment”, indique Peyman à son employé.
L’univers de McCarthy se déploie dans toute son inquiétante étrangeté
Un Grand Projet qui serait aussi LE livre ultime, mais face auquel U. reste imprécis, indécis, impuissant. Il ne voit que l’irréalité d’une époque dont seules se distinguent avec netteté des catastrophes majeures, comme cette marée noire qui envahit les plages.
Il est aussi obsédé par certains faits mineurs, notamment la mort d’un parachutiste à la suite d’un sabotage, où se trouverait la clef de compréhension du mystère du monde. Nourri par la connaissance intime de philosophes contemporains, l’univers de McCarthy se déploie ici dans toute son inquiétante étrangeté.
Satin Island (éditions de l’Olivier), traduit de l’anglais par Thierry Decottignies,208 pages, 20 €
{"type":"Banniere-Basse"}