[Le monde de demain #32] Confiné chez lui dans le XIème arrondissement de Paris, l’auteur de Le Ghetto intérieur, livre événement de la rentrée 2019, écrit encore davantage qu’avant, goûte aux joies de la famille, et craint que le monde d’après ne reste le même qu’avant.
Retrouvez les précédents épisodes de la série :
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>> Episode 29 : Le monde de demain, selon Thomas Hirschhorn
>> Episode 30 : Le monde de demain, selon Didier Fassin
>> Episode 31 : Le monde de demain, selon Kirill Serebrennikov
As-tu l’impression de vivre un moment tout à fait inédit ?
Oui. Et non. J’ai l’impression de vivre un moment matériellement inédit, mais je n’ai, heureusement et malheureusement, pas l’impression que ce moment va être un tournant. Je ne crois pas qu’en dehors des aspects matériels – dont souffriront, comme toujours et partout dans le monde, les plus démunis – cet événement, marquera notre civilisation. Je ne vois pas, pour le moment, un vrai tournant culturel.
Es-tu confiant quant à la façon dont les pouvoirs publics gèrent la crise ?
Non. J’ignore, comme tout le monde, si le pouvoir public, en France, gère bien la crise. Mais j’ai du mal à croire qu’un pouvoir qui a toujours géré tout si mal puisse soudain bien gérer quelque chose. Je lisais cette semaine l’interview d’un historien qui comparait les discours des dirigeants allemands à ceux de Macron, Philippe et Véran. D’un côté, les Allemands, qui semblent s’adresser à des adultes ; de l’autre, les Français, qui parlent à leurs concitoyens comme si c’étaient des enfants, qu’il faut gronder pour qu’ils ne fassent pas de bêtises, à qui il faut mentir pour qu’ils n’aient pas peur, qu’il faut encourager en leur faisant des compliments enfantins.
As-tu peur de la maladie ?
Je n’ai pas plus peur de cette maladie que des autres. Et j’ai plus peur pour d’autres que pour moi-même.
Est-ce que la nouvelle disposition de son temps qu’impose le confinement ouvre pour toi des possibilités nouvelles ? Qu’as-tu fait, que fais-tu de ce temps de confinement ?
Je doute qu’il y ait des gens pour qui le confinement ressemble davantage à leur vie normale que pour moi-même. Depuis que je vis confiné, je fais exactement, rigoureusement, la même chose qu’avant.
Ecris-tu ou es-tu trop préoccupé par cette crise, les infos ?
J’écris, depuis deux mois, davantage encore que je n’écrivais auparavant. Je crois que je vais finir en juin un roman que je ne pensais finir que dans un an. Mais, oui, en même temps, j’ai l’impression d’être, non pas trop préoccupé, mais trop occupé par cette crise, par les infos, par le besoin, des autres et de moi-même, d’en parler.
Le seul vrai changement par rapport à ma vie d’avant le confinement est le fait que je ne dîne plus avec des amis et que j’ai tristement remplacé ces moments joyeux par le journal télévisé de 20h. Même si dans ce triste changement, il y a aussi d’autres ravissements, disons, indiscrètement, familiaux.
Penses-tu que cette crise est un marqueur historique ? Qu’on ne reviendra pas au monde avant ? Qu’on entre dans une nouvelle séquence ?
J’espère que oui. Mais je crois que non. Il y aura sans doute un changement matériel important, mais je ne suis pas sûr que le changement culturel soit aussi fort. J’ai écrit un article sur la situation actuelle qui finit par ces mots :
Que sera dans quelque temps cet événement historique “incomparablement plus important que tout ce qu’on a vécu auparavant” ? Une situation finalement fortuite qui, en elle-même, culturellement, ne marquera pas notre civilisation. Une modification radicale, et éphémère, de notre manière de vivre qui n’aura été due qu’à des causes matérielles et qui n’affectera, durablement, malheureusement, que ceux qui sont toujours affectés par les soubresauts du capitalisme.
Y a-t-il des enseignements positifs à tirer de cette crise ?
Bien sûr ! J’espère, de tout mon cœur, que dans quelques mois les gens m’auront fait mentir. Que je serai toujours là, comme disait Günther Anders, debout mais ridicule. J’espère que les gens n’oublieront pas tout un tas de choses qu’ils auront appris pendant ces quelques mois : qu’on peut passer des heures à discuter avec ses enfants, à les contempler, à apprendre d’eux, qu’on peut consommer moins, qu’on peut lire davantage, qu’on peut ne pas travailler, ne pas subir un patron désagréable. Bref, il y a tant de leçons que chacun à sa façon pourrait avoir tirées de ce changement forcé qui aura occupé quelques semaines de nos vies.
Comment imagines-tu le monde d’après ?
J’ai peur qu’il ressemble à celui d’avant. Je rêve qu’il soit différent.
Qu’en espères-tu ?
J’espère juste, comme je disais, que nous n’oublierons pas ce que nous avons fait de mieux pendant le confinement et que nous nous souviendrons aussi que ce que nous faisions de pire avant, nous pouvons ne plus le faire.
Pourra-t-on écrire sur autre chose après cette pandémie ?
Question compliquée. Est-ce que la question est : pourra-t-on écrire sur autre chose que le Covid-19 ? Ou alors : est-ce qu’on pourra écrire sur autre chose que ce sur quoi on écrivait avant le Covid-19 ?
La première question je me la pose depuis un mois. Et je pense que dans certaines fictions ça va être compliqué de ne pas parler de ce qu’on a vécu cette année. Dans le roman que je suis en train d’écrire, par exemple, j’ai décidé de mentionner ces quelques mois : ils occuperont deux lignes des deux cents ou trois pages. Mais je ne pense pas qu’il y ait quelque chose d’important à écrire sur cette pandémie. Ou plutôt : moi, pour le moment, je n’ai aucune histoire à raconter qui me semble pertinente pour parler de ce qu’on est en train de vivre. Il y a tant d’autres choses dont il faut encore parler, tant de choses qui méritent qu’on leur cherche quelques mots justes.
Propos recueillis par Nelly Kaprièlian
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