Avec pour cadre une ville minière, le Canadien poursuit l’histoire déchirante d’une famille banale confrontée à un drame.
La famille est un thème cher au Canadien Jeff Lemire, que ce soit dans ses romans graphiques les plus personnels (Essex County) ou dans ses histoires de superhéros (Black Hammer, Animal Man…). Dysfonctionnelles, éclatées, rongées par les remords, les non-dits et les secrets, ces familles sont cependant très banales. Loin de se répéter, Jeff Lemire va toujours chercher ce qu’il y a de plus intime en ses personnages – leurs failles, leurs doutes, leurs désirs – pour retracer ces destins ordinaires. Royal City poursuit superbement cette voie.
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Un dessin fluide qui conserve un certain réalisme
Dans le premier volume, on découvrait la famille Pike, vivant à Royal City, une petite ville industrielle. Mêlant le surnaturel au quotidien, Jeff Lemire y montrait comment chacun de ses membres tentait de vivre tant bien que mal avec le fantôme de Tommy, leur fils et frère décédé une vingtaine d’années auparavant. Inconsolables, tous s’imaginaient trouver du réconfort auprès d’un Tommy correspondant à leurs attentes (prêtre pour la mère croyante, déglingué pour le plus jeune frère à la dérive…).
Le deuxième tome se situe dans le passé, en 1993, à quelques jours du décès de Tommy. Détaillant avec précision cette semaine décisive, Jeff Lemire dévoile les origines des problèmes des Pike. Les enfants vivent une jeunesse ordinaire, entre fêtes, petits jobs inintéressants, premiers copains/copines. Le petit dernier, Tommy, particulièrement solitaire, est en proie à des maux de tête inexpliqués.
Les parents cherchent des compensations, l’un à son boulot ennuyeux, l’autre à son mariage insatisfaisant. Jeff Lemire excelle à dépeindre ces vies bancales tout en compromis. Son récit fait la part belle aux silences, aux maladresses, aux hésitations, à la musique aussi – le grunge dont Tommy est fan.
Comme le propos, le dessin est fluide, jamais appuyé, tout en conservant un grand réalisme – personne ne sait comme Jeff Lemire révéler la beauté d’un sourire en coin, la dureté d’une douleur intolérable. Ses aquarelles pâles capturent l’essence même de l’ennui et de la banalité de ces existences fantomatiques tout en allégeant par leur transparence la gravité du propos. Toujours d’une grande finesse quand il s’agit de saisir les tourments de l’âme, Jeff Lemire émeut sans mièvrerie dans cette série qui est probablement sa plus déchirante. Anne-Claire Norot
Royal City tome 2 (Urban Comics), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Benjamin Rivière, 144 p., 15,50 €
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