La réédition d’un des premiers livres de John Dos Passos, récit picaresque en Espagne, révèle déjà le génie de l’écrivain américain.
La vie de John Dos Passos est aussi passionnante et tragique que l’est son œuvre. L’écrivain américain fait partie de ces intellectuels anarchistes du début du XXe siècle, pour lesquels l’écriture devait se forger dans l’expérience d’une vie intense, engagée, radicale. Au service des autres. Jean-Paul Sartre disait de Dos Passos qu’il était “le plus grand écrivain de notre temps”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En 1917, à 21 ans, le jeune homme s’engage dans un corps d’ambulanciers volontaires de l’armée française. Il rencontre sur le front un certain Ernest Hemingway, qui deviendra son meilleur ami. Après l’armistice, Dos Passos se lance sur les routes d’Espagne. C’est ce voyage qu’il décrit dans Rossinante reprend la route, publié en 1922.
(Més)aventures de deux quidams sympathiques
Le livre est construit sur l’alternance de deux formes, qui se succèdent à chaque nouveau chapitre. Sous une forme romanesque d’une part, les (més)aventures de deux quidams sympathiques et quelques peu paumés, Télémaque et Lyaeus, leur périple de Madrid à l’Andalousie.
Réalisme, précision, simplicité du vocabulaire séduisent dans ce texte qui rend hommage au genre, le picaresque. Ces deux antihéros évoquent autant Don Quichotte et Sancho Pança que Bouvard et Pécuchet, enfin Hemingway et l’auteur lui-même, les deux Américains ayant vadrouillé un temps ensemble sur le Vieux Continent.
Culture vertigineuse
Ecrit à la première personne, l’autre récit est explicitement autobiographique. Il relate le voyage de l’écrivain à travers cette même Espagne, ponctué par des digressions et considérations sur l’esprit ibérique, qui témoignent de l’intelligence inouïe de l’auteur autant que de sa culture vertigineuse sur ce pays.
Dos Passos dialectise ainsi l’opposition entre les “deux grandes figures qui incarnent à jamais l’Espagne” : d’un côté Don Quichotte ou la spiritualité désincarnée des “figures extatiques qui considèrent que l’âme a un pouvoir illimité” ; de l’autre Sancho Pança et les “matérialistes jovials, avec à l’extrême la figure épique de Don Juan, sa sensualité frénétique et mystique”. Il prédit même l’avenir sombre d’une nation qui basculera, dix ans plus tard, dans la guerre civile.
On achève Rossinante… avec une question : comment un homme aussi brillant, engagé aux côtés des opprimés, a-t-il pu devenir si réactionnaire, soutenant Eisenhower et la chasse aux sorcières antisémite du sénateur McCarthy ? Dos Passos mourut en 1970, à Baltimore.
Rossinante reprend la route (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-France Girod, 192 pages, 8,90 €
{"type":"Banniere-Basse"}