Vous vous faites larguer le soir du réveillon… Consolez-vous avec une kitsch mais riche histoire du roman-photo, et un journal illustré délicieusement vintage.
Oui, la vie est injuste. Mais plutôt que de souhaiter à votre ex une mort lente et douloureuse – par le biais d’une boule de sapin ou d’un pilon de dinde coincé en travers de la gorge par exemple –, optez de préférence pour deux livres à l’eau de rose. Afin de préserver l’esprit de Noël et croire de nouveau en l’amour.
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Souvent parodié, jamais égalé. Sauf peut-être par Pierre Desproges : “Raoul est un brillant ingénieur qui voulait épouser Anna quand Gérald, un Anglais flegmatique, ami de Kathy, fille au pair chez les parents de Paul, où travaille Anna, tombe amoureux de cette dernière, qui lui montre de la réticence quand Raoul survient. Pour lui la situation est claire.” Mais avant que Raoul, Kathy et les autres ne trouvent le chemin de l’amour – en passant par la partouze géante –, le destin du roman-photo fut long et truffé de trouvailles, de virages à 180° et de métamorphoses, ainsi que l’illustre un coquet et ambitieux volume retraçant son histoire.
Pour comprendre d’où il vient, il faut remonter aux années 20 et 30 en Italie. Là, dans le sillage du cinéma muet, le ciné-roman fait son apparition dans la presse, sous la forme de novellisations de films à succès. On appelle les “cinevita” ces adaptations qui connaîtront leur apogée à la fin des années 30 avec les films de John Ford, Julien Duvivier ou Abel Gance. Plus tard, au lendemain de la guerre, deux frères italiens, Domenico et Cino del Duca, sont traversés par une idée lumineuse : mixer roman populaire et bande dessinée à travers un hebdomadaire de romans d’amour illustré. Mais le roman-photo tel qu’on le consomme encore en secret aujourd’hui ne voit le jour qu’en 1950, avec les piliers du genre Nous Deux et Grand Hôtel, son équivalent italien lancé en 1946.
C’est le début d’une série infinie de couvertures (répertoriées dans notre livre) où des couples langoureux se cajolent sur une gondole à Venise, de titres inoubliables (Yvelise mon amour ; Toi, ma folie ; Au fond du coeur…) et de dialogues fougueux (“Vous chantez et valsez divinement : est-il une qualité que vous n’avez pas ? – Oui, une au moins : je n’aime pas les flatteurs !”). La formule charme instantanément la lectrice de cette “presse du coeur” qui franchira, dans les années 60, le cap du million d’exemplaires vendus par semaine – contre 340 000 aujourd’hui.
Bien sûr, comme dans toutes les success story, il y a une ombre au tableau : le fotoromanzo souffre de son image d’art mineur, voire arriéré. Et ce n’est pas le reportage d’Antonioni, Mensonge amoureux, sur les coulisses du roman-photo en 1950, ou Courrier du coeur de Fellini, satire féroce sur le milieu, réalisé deux ans plus tard, qui ont arrangé les choses. Tout au long de son histoire, la volonté de “déghettoïser” le genre et la quête de reconnaissance ont donné lieu aux plus belles inventions du roman-photo : les références au cinéma hollywoodien (en romançant la vie de stars comme Marilyn Monroe), la recherche d’associations avec des géants du cinéma (le chef-op de Renoir), l’adaptation de grands classiques (en 1985, Monique Pivot, rédactrice en chef de Nous Deux jusqu’en 1992, fait adapter Hernani par Patrick Rambaud), ou la création de romans-films vedettes (faisant “jouer” des cyclistes du Tour de France, Johnny Hallyday, Dalida…).
L’un des secrets du renouvellement de Nous Deux – dirigé aujourd’hui par Marion Minuit et Dominique Faber, auteurs du livre –, et à travers lui du roman-photo, réside dans la mise en scène précoce de people. Sans compter ceux passés par la case roman-photo avant les paillettes (de Claudia Cardinale à Hugh Grant). En outre, le genre montre une surprenante capacité d’adaptation, que ce soit à l’actualité (un roman-photo sur le 11 Septembre !) ou au pastiche (la couverture de l’autobiographie de Jean Paul Gaultier, À Nous Deux la mode). Comme si la parodie vintage constituait une simple étape vers un nouveau déploiement.
Pour preuve, l’éclosion récente du “roman graphique”, entre roman-photo et bande dessinée. Parmi de nombreux spécimens, le journal vintage illustré signé Caroline Preston, petite-fille de Sylvia Beach, éditrice et libraire légendaire de Saint-Germaindes- Prés, est une pure merveille. Odyssée chic à travers les années 30, Le Journal de Frankie Pratt se fend d’une traversée du New York de la prohibition au Paris des années folles, en suivant le destin d’une jeune étudiante américaine, rédactrice de bluettes à New York, puis engagée de l’autre côté de l’océan à la librairie Shakespeare & Company, où elle sera secrétaire de James Joyce. Un scrapbook délicieusement rétro, rassemblant photos, cartes postales, bibelots et réclames de l’époque, qui ressuscite Greenwich et ses concours de charleston, le Paris des expates et les terrasses de Montparnasse. De quoi consoler les âmes esseulées le soir de Noël.
Nous Deux présente : la saga du roman-photo de Dominique Faber, Marion Minuit et Bruno Takodjerad (éditions Jean-Claude Gawsewitch), 240 pages, 39 €
Le Journal de Frankie Pratt de Caroline Preston (Nil), traduit de l’anglais (États-Unis) par Katel Le Fur, 238 pages, 22 €
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