Linda Lê revient en grande forme avec Roman, un… roman où elle décline avec maestria le terme dans tous les sens.
Appeler un roman Roman est une décision qui le place sous l’emprise d’une intrigante polysémie. Roman est bien un roman : des personnages et leurs péripéties. Mais Roman, c’est aussi le prénom d’un des protagonistes. Cette consistance particulière est augmentée par un autre décret. Lui seul a droit à un nom complet alors que les autres ne sont désignés que par leur initiale : L., une femme écrivain rescapée d’un AVC ; B., artiste peintre, son compagnon.
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Roman, quant à lui, est un lecteur des livres de L. dans lesquels il pense s’être retrouvé mais aussi, tête folle, perdu. Roman est donc double, tandis que l’écrivaine L. vit dans la hantise d’un frère mort, le “sans nom”.
Livre-cabanon
Mais Roman est un autre genre de double, comme on le dit d’une clef dont on fait fabriquer la réplique. Parce qu’une seule clef ne suffit pas pour ouvrir toutes les portes, parce que certaines serrures sont grippées. Aux aguets d’une infraction dans le livre-cabanon de Linda Lê, Roman “l’hurluberlu” fait office de passe-partout idéal, ambassadeur d’un “contre-monde” qui alerte et contrarie. Mais ce qui signe l’excellence du roman de Roman, et du roman tout court, c’est que sa certitude folle d’avoir raison est sans cesse inquiétée par la figure de L.
Dans le quatuor formé par Roman, L., B. et le “sans nom”, L. est comme une dissonance majeure qui ouvre à bien des arabesques. Il est ainsi question d’une femme célèbre (Camille Claudel) et de deux autres moins connues (Taos Amrouche, Catherine Pozzi), qui partagent d’avoir été maîtresses et esclaves de grands hommes (Rodin, Giono, Valéry).
Palanquée de mots ou d’expressions en italique
Il est aussi fait état, lieu commun à tous les personnages, d’une région clandestine, peuplée d’étrangers, Linda Lê dit de “cosmopolites”, que révulse “toute forme de nationalisme étroit”, qu’il soit celui d’un pays réel (celui de “l’identité nationale”) ou fantasmé (le monde des bien-portants).
Roman est le roman d’une “extinction”, au sens où Thomas Bernhard l’écrivit et, hommage à l’hurluberlu autrichien, d’un ressassement. Il rôde dans les limbes de Roman une palanquée de mots ou d’expressions en italique qui attirent l’œil et le troublent. Des mots vite dits, des expressions toutes faites, le plus souvent misérables. Il n’est pas interdit de détecter, dans cette distinction typographique, “un certain humour”.
Roman (Christian Bourgois), 175 pages, 20 €
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