Deux auteurs français s’emparent du genre gothique : Romain Slocombe signe le remake ultra dark des Petites filles modèles et Emmanuel Régniez enferme un frère et une sœur dans son premier roman.
Il y a eu les petites sœurs terrifiantes de Shining, l’étrange tandem des Hauts de Hurlevent, Hindley et Catherine… Dans la littérature gothique, les références ont plus d’importance qu’ailleurs : Lovecraft, Poe et King font office de sainte trinité sans cesse citée et revisitée. Peu nombreux sont ceux, en revanche, qui avaient vu dans l’œuvre éducative de la comtesse de Ségur l’abîme de noirceur que va y chercher Romain Slocombe.
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Pour la collection Remake des éditions Belfond, qui offre à des romanciers contemporains la possibilité de remixer les grands classiques, il revisite Les Petites Filles modèles et y injecte une bonne dose de perversité. Au cœur de son programme de “déséducation”, la candide et très pieuse Marguerite de Rosbourg, éhontément dévergondée par une paire de sœurs bien moins intéressées par les rosaires que par les écrits tendancieux du marquis de Sade.
Lectures interdites, péchés mortels, épisodes saphiques…
Audacieux et inventif dans sa relecture d’un classique de la Bibliothèque rose, Slocombe annonce la couleur : le texte que l’on s’apprête à lire a été retrouvé en 2014 dans une tombe, aux côtés d’une morte au cœur arraché… L’histoire elle-même s’amuse ensuite à jeter l’innocente Marguerite et sa mère corsetée dans les mains de la très pâle veuve Madame de Fleurville et de ses filles Camille et Madeleine.
Trop de femmes en un château : il y aura des lectures interdites, des péchés mortels, des épisodes saphiques et même un meurtre de sang-froid. Le tout dans une immense demeure qui exerce sur son petit monde une inquiétante emprise. Un parfait petit nécessaire de l’écrivain gothique, qui met au jour tout le stupre que les esprits tordus – ou imaginatifs – avaient senti poindre sous la sage pédagogie de la comtesse.
Claustration, tandem incestueux…
Motif incontournable pour qui s’intéresse aux ténèbres, la maison hantée est au cœur de Notre château d’Emmanuel Régniez. Mais, déjà auteur d’un ABC du gothique, le primo-romancier plonge le genre dans le contemporain. “Je m’appelle Octave. Ma sœur s’appelle Vera. Nous ne fréquentons personne, ne parlons à personne et vivons tous les deux, rien que tous les deux, dans notre château.” La claustration, le tandem incestueux, dérangé par un intrus qui le regrettera vite… On pense bien sûr aux Innocents, l’inquiétant film de Jack Clayton qui inspira Les Autres à Alejandro Amenábar.
L’univers gothique fonctionne en vase clos, se nourrit de routine et d’isolement. Le jour où Octave croit voir sa sœur Vera dans le bus, alors que celle-ci ne sort jamais, c’est leur monde qui bascule. Le pacte est brisé, les murs tremblent, et la maison, “si grande, si belle”, prend des allures de cercueil.
Dans un style bref et vif, qui pâtit de temps à autre de quelques affèteries, Régniez rend un hommage appliqué à un genre qui sait mieux que tout autre exposer les travers de la nature humaine, et révéler les nébuleux tréfonds des fratries perverties.
Des petites filles modèles… de Romain Slocombe (Belfond), 304 pages, 18 €
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Notre château d’Emmanuel Régniez (Le Tripode), 128 pages, 15 €
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