Une tendance lourde pour l’actualité ou la famille, peu de grandes stars, quelques rescapés de l’autofiction : sélection des 46 textes à lire parmi la déferlante des 646 romans français et étrangers à venir. Photos Alexandre Guirkinger.
Jean-Yves Jouannais L’Usage des ruines (Verticales)
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“Cet ouvrage s’apparente à un casting de personnages romanesques”, signale Jean-Yves Jouannais dès les premières pages. D’Albert Speer, l’architecte du IIIe Reich, au peintre Bernardo Bellotto en passant par Scipion Émilien, le général romain qui détruisit Carthage, toutes les figures du livre ont en commun d’avoir connu des villes assiégées ou en ruine. Avec ce texte en fragments, l’auteur d’Artistes sans oeuvres, qui se consacre depuis 2008 à l’élaboration d’une Encyclopédie des guerres, livre une méditation érudite et poétique sur la destruction. extrait dans notre supplément
Mathias Énard Rue des voleurs (Actes sud)
Banni par sa famille pour avoir couché avec sa cousine, amoureux d’une jeune Barcelonaise, Lakhdar veut fuir Tanger. Il a 20 ans, “l’âge de la révolte” et des manifestants du Printemps arabe. Lui aussi se bat pour la liberté. La sienne. Il cherche tour à tour à échapper à un groupuscule islamiste, à des patrons esclavagistes, à la police. L’auteur de Zone aborde la question de l’émigration. Tenté de s’emparer de l’actualité, Énard évoque, sans le recul suffisant, le mouvement des indignés, la révolution tunisienne ou Mohamed Merah. Reste un roman d’initiation mouvementé.
Tom McCarthy C (Éditions de L’Olivier)
C’est l’objet annoncé comme “expérimental” de la rentrée. Le titre, réduit à une seule lettre, annonce le thème qui travaille le livre : le langage, toujours plus ou moins crypté, codé. En Angleterre, au début du XXe siècle, Serge et sa soeur Sophie grandissent entre un père passionné de télégraphie et une mère sourde et opiomane. A 17 ans, Sophie se suicide. Serge deviendra opérateur radio pendant la Première Guerre mondiale et accro à la cocaïne. Le romancier anglais, admiré par Zadie Smith, signe un livre cabinet de curiosités parcouru d’images et de symboles.
Pascal Quignard Les Désarçonnés (Grasset)
On croit qu’avec la série du Dernier royaume, Pascal Quignard écrit des essais érudits et tout, et tout. Bien entendu, on se trompe. Le tome VII qu’il publie en septembre, magnifiquement intitulé Les Désarçonnés, s’impose en fait comme un roman très personnel, fragmenté comme devrait l’être tout roman très personnel, restituant une vérité de soi, de sa vie et de ce que l’on en a appris, à travers une série de cas de figure empruntés à l’histoire ou à la littérature – et, on le soupçonne, inventés aussi –, pour faire ici l’éloge du désarçonnement, c’est-à-dire la chute, de l’interruption soudaine, comme tremplin à une belle réinvention de soi. extrait dans notre supplément
Enrique Vila-Matas Air de Dylan (Christian Bourgois éditeur)
Il faudra attendre le 13 septembre pour découvrir le nouveau roman de l’Espagnol Vila-Matas, qui explore ici plus que jamais son goût de l’échec et des artistes sans oeuvres. Où l’on suit une poignée de personnages drolatiques (un homme qui ressemble à Dylan et a le projet de rassembler les Archives de l’échec ; un écrivain prolixe qui regrette d’avoir trop écrit et se consacre au silence, etc.) sur fond d’âge d’or hollywoodien. Poétique et absurde.
Margaux Fragoso Tigre, tigre ! (Flammarion)
A 7 ans, Margaux Fragoso rencontre celui qui est devenu son “amant” pendant presque vingt ans. Dans Tigre, tigre !, elle raconte leur histoire en mettant à jour les liens complexes et mortifères qui se tissent entre un pédophile et sa victime. A rebours de tous les clichés, une confession glaçante et fascinante, subtilement rendue par la langue de Marie Darrieussecq.
Jonathan Dee La Fabrique des illusions (Plon)
Découvert en France en 2011 avec Les Privilèges, Jonathan Dee signe un mélo cynique ancré dans les années 90. Les amours contrariées de John, un publiciste new-yorkais, et de Molly, jeune femme fuyante rencontrée à Berkeley, consolident un univers romanesque marqué par la désillusion.
Benjamin Whitmer Pike (Gallmeister)
Où le polar se met au vert et en ressort plus noir que jamais. Des banlieues insalubres de Cincinnati aux vallées des Appalaches, le premier roman de Benjamin Whitmer lance l’une contre l’autre deux machines à tuer qu’unissent à leur insu d’étroits liens du sang. La langue est somptueuse et enragée, rappelant que la poésie la plus éblouissante et l’émotion la plus nue peuvent jaillir d’une orgie de drogue, de sexe tarifé et de violence extrême.
Christa Wolf Ville des Anges (Seuil)
Dernier roman de la grande Christa Wolf, née en 1929 et décédée en 2011, Ville des Anges met en scène le coming-out politique de l’écrivain. C’est en effet à Los Angeles, où elle a vécu deux ans, que Christa Wolf est rattrapée par son propre passé de l’autre côté du mur, en Allemagne de l’Est. Non seulement par le fait d’avoir été dénoncée, mais d’avoir elle-même dénoncé à la Stasi : un retour du refoulé grave et bouleversant. Et tout un pan de l’histoire à travers les paradoxes d’un être humain. extrait dans notre supplément
Patrick deWitt Les Frères Sisters (Actes Sud)
Deux frères tueurs à gages chevauchent à travers l’Ouest américain de la fin du XIXe siècle, multiplient les rencontres insolites et sèment les cadavres derrière eux. Une dernière chasse à l’homme va toutefois les amener à remettre en question leur choix de carrière : violent, sombre et inquiétant, le second roman de Patrick deWitt revitalise le western littéraire en alliant la verve picaresque du True Grit de Charles Portis, l’humour noir du Deadwood de Pete Dexter et la troublante poésie du Dead Man de Jim Jarmusch.
Niccoló Ammaniti Moi et toi (Robert Laffont)
Le plus corrosif des écrivains italiens aurait-il rangé ses griffes ? Après La Fête du siècle l’an passé, et surtout Comme Dieu le veut en 2008, deux portraits mordants de l’Italie moderne, Niccoló Ammaniti signe ici un court roman sur l’enfance meurtrie. La confrontation entre un gamin surdoué et sa demi-soeur toxico, réfugiés dans la cave parentale, offre un huis clos plus sombre qu’il n’y paraît. Une âpre fable sur la fin de l’innocence, portée à l’écran en 2012 par Bernardo Bertolucci.
Pauline Klein Fermer l’oeil de la nuit (Allia)
Une fille seule espionne ses voisins, un couple d’artistes à la mode, et entretient une correspondance avec un demi-frère inconnu… Deux ans après Alice Kahn, premier opus singulier sur un trouble identitaire, on commence à cerner l’univers de Pauline Klein et la fâcheuse tendance de ses héroïnes à s’inventer des vies. Cette fois encore, tout n’est peut-être qu’artifice, jeu social et falsification par l’art. Un petit roman inclassable, dépressif et arty.
Colombe Schneck La Réparation (Grasset)
Colombe Schneck abandonne enfin le côté “mignon” de ses précédents romans pour se coltiner avec l’histoire de sa famille, des Juifs lituaniens dont certains furent exterminés durant la Shoah – parmi eux, une petite Salomé. Un secret trop bien gardé par la mère de l’enfant, qui planait comme un non-dit mortifère sur les générations suivantes et la vie de l’auteur. Ce récit-enquête reconstitue le pire et la façon dont on choisit d’y survivre.
Karl Ove Knausgård La Mort d’un père (Denoël)
Ce n’est que le premier volet d’un projet autobiographique colossal. Loin d’effrayer, La Mort d’un père se serait vendu à 500 000 exemplaires en Norvège. Un succès inespéré pour cette confession-fleuve d’un écrivain arrivé au mitan de sa vie, jaugeant son passé suite au décès de son géniteur. Radioscopie intime, roman générationnel des années 80 et 90, une immersion vertigineuse dans l’antre du moi. En attendant les cinq prochains volumes…
François Bon Autobiographie des objets (Seuil)
Entre Je me souviens de Georges Perec et Le Parti pris des choses de Francis Ponge, François Bon se raconte à travers les objets qui ont jalonné sa vie. Un bric-à-brac hétéroclite et aléatoire comprenant un transistor, une baïonnette, des toupies et surtout des livres. Chaque objet ouvre sur un pan de sa mémoire, son enfance et son adolescence. C’est aussi l’inventaire d’un monde disparu, celui d’avant la dématérialisation et l’obsolescence programmée des choses. Pas de nostalgie dans ce texte, mais beaucoup de pudeur pour un autoportrait sensible et touchant. extrait dans notre supplément
Imre Kertész Sauvegarde – Journal 2001-2003 (Actes Sud)
Après son Journal de galère, l’écrivain hongrois, prix Nobel de littérature en 2002, consigne les années 2001-2003. L’auteur d’Être sans destin, déporté à 15 ans à Auschwitz, n’a toujours pas pardonné à son pays. Dans Sauvegarde, il critique avec la virulence d’un Thomas Bernhard la Hongrie d’aujourd’hui et sa dérive extrémiste. Sans jamais se départir de son ironie, Kertész évoque aussi la vieillesse, la maladie, ses difficultés à se familiariser avec l’informatique et, bien sûr, l’écriture. Un témoignage radical.
Rachel Polonsky La Lanterne magique de Molotov (Denoël)
Spécialiste de la littérature russe, qu’elle enseigne aujourd’hui à Cambridge, Rachel Polonsky a vécu dix ans à Moscou dans un immeuble réservé, sous les tsars ou les Soviets, aux hommes d’État les plus importants. C’est en s’aventurant dans l’appartement et la bibliothèque de Viatcheslav Molotov, bras droit de Staline, que Polonsky reconstitue toute l’histoire de la Russie à travers les livres qu’elle y découvre. Entre récit, roman et essai historique, un livre hors norme comme seuls aujourd’hui les Anglo- Saxons savent en faire. extrait dans notre supplément
Joy Sorman Comme une bête (Gallimard)
Pim désosse, découpe, dépèce. Il est apprenti boucher. Obsédé par la viande jusque dans ses moindres désirs, il vit son métier comme un sacerdoce, suit les animaux de l’étable à l’abattoir, fait littéralement corps avec eux. Il sait mieux que quiconque que nous sommes, nous aussi, un amas de tripes et de nerfs. De la viande, ni plus ni moins. Avec ce roman naturaliste et charnel, Joy Sorman dissèque l’univers de la boucherie et pose, à la suite de Jonathan Safran Foer, la question du rapport entre l’homme et l’animal, entre l’homme et ce qu’il mange. Un texte cru et saignant.
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