Repenser la démocratie, s’interroger sur les fractures de la société, retracer notre passé le plus obscur : les grandes axes de cette rentrée.
Le désenchantement démocratique
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Si nos régimes peuvent être dits “démocratiques”, nous ne sommes pas, en réalité, gouvernés “démocratiquement”. Dans son nouvel essai, Le Bon Gouvernement (Seuil), Pierre Rosanvallon interroge ce grand hiatus qui nourrit un désenchantement généralisé. Prolongeant un cycle de livres sur la démocratie, l’historien élabore ici les contours incertains d’une vraie “démocratie d’exercice”.
Puisque le mal-gouvernement ronge en profondeur nos sociétés, il faut revitaliser notre démocratie, en redéfinissant d’abord les rapports entre gouvernants et gouvernés. Rosanvallon appelle donc de ses vœux à une “démocratie de confiance” et à une “démocratie d’appropriation” – les deux clés du progrès démocratique.
Il propose également des pistes, concrètes et articulées, pour échapper à la montée en puissance constante du pouvoir exécutif. La seule voie possible d’une “appréhension plus lucide des conditions de réalisation d’une société des égaux”.
De l’impossibilité de gouverner
Cette stimulante réflexion sur l’état malade de notre démocratie fait écho à d’autres essais centrés sur les apories de la politique occidentale. On lira ainsi avec attention l’épais livre de l’historien Nicolas Roussellier, La Force de gouverner, – Le pouvoir exécutif en France, XIX-XXIe siècles (Gallimard).
On y ajoutera le dernier volume attendu du projet Homo sacer de Giorgio Agamben, L’Usage des corps (Seuil) ; la poursuite du travail de Cynthia Fleury sur l’Etat de droit et les pathologies de la démocratie avec Les Irremplaçables (Gallimard), une réflexion sur la notion d’individuation ; celle de Roland Gori dans L’Individu ingouvernable (LLL) ;
Eric Maurin s’interroge, quant à lui, sur les liens de dépendance entre les individus dans La Fabrique du conformisme (La République des idées) tandis que le titre de l’ouvrage de Patrick Savidan, Voulons-nous vraiment l’égalité ? (Albin Michel) en indique toute l’ambitieuse démarche.
Fractures de la société française
Comment en est-on arrivé là ? Aux crispations identitaires, au triomphe de la xénophobie, à la ghettoïsation territoriale, à toutes les dérives que les débats confus post-11 janvier 2015 n’ont pas réussi à éclairer.
Dans un livre collectif, Le Grand Repli (La Découverte), Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Ahmed Boubaker interrogent les blocages de la société française, en imbriquant leur colère citoyenne et leur distance critique de chercheurs attentifs.
Dans Jeunesses françaises : bac+5 made in banlieue (La Découverte), le sociologue Fabien Truong dresse le portrait de la jeunesse des banlieues populaires, à travers une enquête démarrée il y a dix ans – des émeutes de 2005 à la tragédie Charlie Hebdo.
Retisser des liens
En suivant à la trace les chemins de vie d’une vingtaine d’élèves, l’auteur traduit un certain état du pays dans lequel la jeunesse des banlieues peine à définir sa place : un constat étayé aussi par Thomas Guénolé dans Les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ? (Le Bord de l’eau).
Comme le suggère Nicole Lapierre dans son beau récit à la fois politique et intime, Sauve qui peut la vie (Seuil), la société française déchirée a plus que jamais besoin de causes communes pour retisser des liens.
Sur le front de l’anthropologie sociale, la rentrée est aussi marquée par la biographie très documentée de Claude Lévi-Strauss (Flammarion) par Emmanuelle Loyer qui a eu accès aux archives personnelles du fondateur du structuralisme.
Retour à Vichy
Vingt ans après la reconnaissance par l’Etat français de sa responsabilité dans la déportation des Juifs vers l’Allemagne et de la politique de collaboration, les débats et les polémiques sur la passivité des Français durant la guerre n’ont jamais vraiment cessé, comme l’ont récemment illustré les fabulations d’Eric Zemmour dans Le Suicide français.
Trente-quatre ans après sa publication, le grand historien américain Robert Paxton sort une édition actualisée de son livre décisif coécrit avec Michael R. Marrus, Vichy et les Juifs (Calmann-Lévy), qui, quelques années après La France de Vichy, paru en 1973, révolutionna la compréhension du régime de Pétain.
En approfondissant l’analyse des rapports entre Français et Allemands, Paxton éclaire comment les mesures de discrimination de Vichy contre les Juifs ont été appliquées autant par l’administration traditionnelle que par les militants du Commissariat général aux questions juives. Le maréchal Pétain a joué lui-même un rôle plus important qu’il n’avait pensé au départ dans la genèse des mesures antisémites.
Dans le vaste champ des récits historiques pleins de souffle, on lira, par ailleurs, la recherche de Romain Bertrand, spécialiste de l’histoire globale, Le Long Remords de la conquête (Seuil) ; ou encore l’étude savante, Lumières du Moyen Age (Gallimard) par Pierre Bouretz, d’une figure éclairée du Moyen Age arabe et juif, Maïmonide (1138-1204), auteur d’un livre clé de la pensée, Le Guide des perplexes.
Mensonges et consolations
Rien de mieux que le regard décentré et renversant des philosophes pour repenser des catégories figées dans leur éternité conceptuelle. Avec François Noudelmann,et son magnifique Génie du mensonge (Max Milo) – analyse brillante des distorsions entre les idées proclamées et les vies menées, chez Rousseau, Sartre, Deleuze, Beauvoir ou Foucault, ou comment la grandeur d’une pensée procède souvent d’un déni.
Le puissant Temps de la consolation (Seuil) de Michaël Foessel s’interroge sur notre besoin de consolation, de moins en moins assouvi aujourd’hui, et sur la nécessité d’en repenser le cadre quand Dominique Lecourt tente dans un éloge paradoxal de L’Egoïsme (Autrement) et que Gloria Origgi enquête sur les ressorts de La Réputation (Puf).
Autant d’auteurs qui réinterprètent des notions souvent comprises négativement pour en faire de purs concepts philosophiques, libérés de leur gangue morale. A l’image de Foessel et de Noudelmann, auteurs de deux grands livres stimulants, la jeune philosophie hexagonale manifeste sa belle vitalité en cette rentrée.
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