Du malaise à la révolution, en passant par Jean-Jacques Goldman et l’esprit du temps : tous les essais de la rentrée à ne pas rater.
Vivons-nous ce que la psychanalyste Clotilde Leguil appelle dans L’Ère du toxique un “nouveau malaise dans la civilisation” ? Comme elle, beaucoup de penseurs perçoivent dans la prolifération des angoisses, dans la dégradation des modes d’existence, dans la suffocation d’un air irrespirable, mais aussi dans les colères éruptives venant du plus loin du mépris et de la relégation sociale dont elles sont le produit, le motif central de notre moment politique.
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Mais comment comprendre un peu finement les tensions sociales, et conjurer, peut-être, leurs effets délétères ? En faisant, d’abord, de l’histoire, à l’image de deux livres collectifs mettant en lumière les affects politiques blessés depuis des décennies – Une histoire globale des révolutions, dirigé par Ludivine Bantigny, Quentin Deluermoz, Boris Gobille, Laurent Jeanpierre et Eugenia Palieraki (La Découverte), et Colonisations, Notre histoire, sous la direction de Pierre Singaravélou (Seuil).
Le premier interroge la réactivation mondiale de l’imaginaire de la révolution. Le second analyse les ressorts de la domination coloniale, en partant des traces de ce passé dans le présent, pour remonter le fil du temps. Un enjeu de connaissance essentiel si l’on veut apaiser notre pays en manque d’un récit réconciliateur autour d’une histoire qui hante les quartiers populaires (le nombre de morts dans des interactions avec des policiers, à l’image de Nahel, est cinq fois plus élevé en France que dans les autres pays européens, depuis la multiplication des contrôles policiers rugueux durant la guerre d’Algérie).
Nous face à la crise
En attendant la traduction électorale du climat insurrectionnel actuel, l’enquête de Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique (Seuil), donne des clés d’analyse fécondes de la tripartition de l’espace politique, structurée autour d’un bloc de gauche social-écologique, d’un bloc central libéral et d’un bloc de droite national-patriote. Une tripartition qui, selon les économistes, bloque la sortie de crise autant qu’elle en procède.
Comme le démontre le sociologue Nicolas Duvoux dans L’Avenir confisqué – Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine (Puf), tout le monde n’est pas logé à la même enseigne face à la crise de l’avenir, selon sa position sociale. Wilfried Lignier rappelle à ce propos dans La société est en nous – Comment le monde social engendre les individus (Seuil) que nos identités, certes irréductibles, sont toujours profondément sociales. Ce que conforte Bernard Lahire dans Les Structures fondamentales des sociétés humaines (La Découverte), ambitieuse enquête sur les invariants qui ordonnent les sociétés.
Identités et déconstructions
De leur côté, les philosophes tentent aussi de comprendre conceptuellement les ressorts cachés des crises que nous traversons. Raphaël Liogier affirme dans Khaos, la promesse trahie de la modernité (Les Liens qui libèrent) que la modernité, pourtant tant décriée, est moins la cause de nos effondrements sociaux, climatiques ou psychiques que la trahison de sa promesse initiale, déployée dans des formes dégradées (positivisme, néolibéralisme, populisme, totalitarisme).
Dans Qui a peur de la déconstruction ? (Puf), Isabelle Alfandary, Anne-Emmanuelle Berger et Jacob Rogozinski reviennent sur la panique morale à l’œuvre dans le camp réactionnaire autour de la déconstruction théorisée à la fin des années 1960 par Jacques Derrida, qui serait à l’origine de tous nos maux, tels le wokisme. Or, déconstruire, c’est simplement critiquer, comme le fait Ashley Mears dans une enquête ethnographique au sein de la jet-set, décrite dans l’indécence de ses loisirs ostentatoires, Very Important People (La Découverte).
Au cœur de la culture populaire, Ivan Jablonka, quant à lui, fait du portrait du chanteur mainstream et mal aimé des élites culturelles, Goldman (Seuil), le visage du “Zeitgeist” de la société française des trois dernières décennies. Un esprit du temps hexagonal aujourd’hui contaminé par la toxicité des relations sociales, comme si on était au bout du bout de nos rêves, où la raison s’achève.
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