Parmi les 581 romans de la rentrée, il a fallu choisir. Retrouvez notre sélection de quarante auteurs à ne pas rater, confirmés ou nouveaux venus. Forte tendance cette année : la famille, ses secrets, ses dysfonctionnements et ses blessures.
Eva Ionesco
Innocence (Grasset)
Eva Ionesco avait déjà évoqué dans son film My Little Princess sa mère photographe qui l’utilisait comme modèle pour des photos érotiques quand elle n’avait que 5 ans. Ici, elle partage ce désarroi d’enfant livrée aux adultes, luttant comme elle le peut pour se protéger, dans le Paris libertaire des années 1970. Mais le centre de son propos est la figure du père volatilisé, énigmatique réfugié hongrois passé par les Waffen SS, père aimant, à la fois pilier et blessure pour la petite fille.
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Don DeLillo
Zero K (Actes Sud)
L’auteur d’Outremonde revient en grande forme avec une plongée dans le monde de la cryogénisation. On y suit un jeune homme rendant visite à la femme de son père dans un centre étrange, perdu en plein désert, où celle-ci attend d’être cryogénisée dans l’espoir que la science du futur saura guérir la maladie dont elle souffre. Une écriture onirique pour une interrogation philosophique sur le présent et sur la vie après la mort.
Lola Lafon
Mercy, Mary, Patty (Actes Sud)
En 1975, aux Etats-Unis, une riche héritière épouse la cause du groupuscule d’extrême gauche qui l’a kidnappée. Ses avocats plaident alors la manipulation. Après La petite communiste qui ne souriait jamais, Lafon croise fiction et archives pour confronter plusieurs personnages féminins dans la façon dont ils analysent ce fait divers. Un texte sur la radicalité politique et le regard que la société pose sur les femmes qui s’émancipent.
Chantal Thomas
Souvenirs de la marée basse (Seuil)
L’auteure des Adieux à la reine se penche sur l’histoire de sa mère, femme-enfant fantasque et attachante devenue femme au foyer dépressive. De courts chapitres décryptent la relation qu’elle entretenait avec la natation, son espace de liberté, et retracent l’enfance de Chantal Thomas à Arcachon. Au fil des pages transparaît la volonté de comprendre l’héritage que cette mère a pu léguer et de découvrir ce qu’il reste, chez la fille devenue adulte, des premières années passées en face de l’océan.
Nathan Hill
Les Fantômes du vieux pays (Gallimard)
Sorti sous le titre The Nix aux Etats-Unis l’année dernière, le premier roman de Nathan Hill a créé l’événement : la vie d’un jeune prof d’université accro aux jeux vidéo à la recherche de sa mère, qui avait quitté le foyer pour mener des actions politiques et qu’il n’a pas revue depuis vingt ans. Nathan Hill relie sans cesse ici un passé engagé à un présent plus individualiste. C’est drôle, touchant, bien mené, intéressant. Une des belles découvertes de la rentrée.
Ariane Monnier
Le Presbytère (Lattès)
Dès le début, on devine que l’histoire de ce jeune médecin qui s’installe avec sa femme en province virera au drame. Le couple choisit de vivre dans un ancien presbytère où il veille jalousement sur sa progéniture. Mais derrière l’apparent calme bourgeois se cachent des êtres détraqués dont les enfants seront les victimes muettes.
pour Les Inrockuptibles
Grégoire Bouillier
Le Dossier M (Flammarion)
Un écrivain parisien raconte une histoire d’amour qui a bouleversé sa vie dix ans auparavant. De ce monologue d’un homme désabusé, maladroit et misanthrope qui vitupère contre le monde tel qu’il va, on retient surtout l’époustouflante structure d’un texte hors norme. Car dans ce premier tome de plus de 800 pages, l’auteur de L’Invité mystère déroule sans temps mort l’enchaînement absurde des événements d’une vie, mêlés à des souvenirs qui concernent toute une génération, tout en théorisant sur l’écriture romanesque.
Christophe Honoré
Ton père (Mercure de France)
Le narrateur, écrivain et réalisateur, est homosexuel et père d’une petite fille. Une insulte griffonnée sur sa porte le renvoie à une implacable réalité : tout le monde n’accepte pas qu’on soit à la fois gay et père. Christophe Honoré signe un témoignage poignant, entrelacé de souvenirs de sa jeunesse provinciale et d’une analyse plus générale sur notre société. De ce fait-là, son texte largement autobiographique peut aussi être lu comme un essai sur la condition homosexuelle aujourd’hui.
Jean-Philippe Toussaint
Made in China (Minuit)
On retrouve l’extrême virtuosité de l’auteur de Fuir dans ce texte où un écrivain se rend en Chine pour adapter un de ses romans au cinéma. Parmi les quiproquos drolatiques qui se succèdent et confrontent imagination, perception et raisonnement, Toussaint dévoile sa façon d’appréhender la relation entre fiction et réalité. Et ses toujours surprenants apartés nous donnent l’occasion de regarder un texte en train de s’écrire : “Si on veut que la réalité chatoie, il faut bien la romancer un peu.”
Baird Harper
Demain sans toi (Grasset)
Quand une automobile grille un feu rouge, la vie des habitants d’une banlieue de Chicago s’en trouve bouleversée. Les champs de soja abritent un tueur en série, un pédophile sentimental rumine un projet de meurtre… Baird Harper invite mystère et malaise à s’épanouir sous les cieux du Midwest. Un premier roman virtuose et subversif à la fois.
pour Les Inrockuptibles
Brit Bennett
Le Cœur battant de nos mères (Autrement)
Californie du Sud, banlieue black de San Diego, à mille lieues d’Hollywood et de son glam. Une communauté arc-boutée sur ses principes religieux, un père muet depuis le suicide de sa femme, sa fille Nadia amoureuse du fils du pasteur. Un “chœur des mères”, grenouilles de bénitiers qui, comme dans la tragédie grecque, expriment les points de vue de l’audience sur le drame en cours. Contée dans un style merveilleusement anachronique, cette fable épique sur l’adolescence a fait de son auteur, 27 ans à peine, la révélation de l’année aux Etats-Unis.
Monica Sabolo
Summer (JC Lattès)
Lors d’un pique-nique chic sur les rives du lac Léman, Summer disparaît. Naïade de 19 ans, elle laisse dans son sillage le spectre d’une éternelle adolescente à la sensualité hypnotique. Vingt-cinq ans après le drame, son frère part sur les traces de son fantôme. En alliant la grâce évanescente des héroïnes d’une Sofia Coppola à la perversité des intrigues familiales d’une Joyce Carol Oates, Monica Sabolo mystifie les dérèglements de la haute bourgeoisie et signe un thriller envoûtant et malsain.
Maggie Nelson
Une partie rouge (Editions du Sous-sol)
Alors qu’elle travaille à un recueil de poèmes consacré à l’assassinat de sa tante, longtemps attribué à un tueur en série, Maggie Nelson apprend l’arrestation d’un nouveau suspect. Naît alors un second livre, sous-titré Autobiographie d’un procès. Afin d’explorer les zones d’ombre de la mémoire familiale, Une partie rouge évite les poncifs de l’enquête policière pour emprunter aux registres du journal intime, de la philosophie et de la critique d’art. En résulte un ouvrage audacieux et inclassable.
Justine Augier
De l’ardeur (Actes Sud)
Quand Justine Augier décide de partir sur les traces de Razan Zaitouneh, figure de la résistance syrienne enlevée en 2013 par le régime et portée depuis disparue, l’écrivaine assume la dimension obsessionnelle et quasi vouée à l’échec de son enquête. Elle aborde son sujet avec l’honnêteté et l’humilité qu’il requiert, le portrait de son héroïne se dessinant au gré de rencontres parfois périlleuses (la famille, les proches, mais aussi certains de ses ennemis). Entre Asli Erdogan et Emmanuel Carrère, un livre important, juste et courageux.
Esther Kinsky
La Rivière (Gallimard)
Sans que la comparaison le réduise, on peut lire La Rivière, premier roman traduit en français de l’Allemande Esther Kinsky, à la marge de W.G. Sebald. Parce que la narratrice insère dans son récit biographique des photographies de paysages “insignifiants” ; parce qu’elle est une Allemande exilée en Angleterre (la banlieue est de Londres) ; parce que surtout se déchaînent les tempêtes de la grande littérature sous prétexte d’observations infimes, au coin de la rue comme au bord de certains fleuves fameux, du Rhin au Gange. A la dérive, un livre immense et un écrivain majeur.
Ali Zamir
Mon étincelle (Le Tripode)
Déjà remarqué en 2016 avec Anguille sous roche, Ali Zamir est un cas somptueux de métissage littéraire. Francophone, il fait dire à notre langue des mots rares qui sont les mots justes pour décrire l’état amoureusement turbulent de sa jeune narratrice. Comorien d’origine, il souille cette sorte de blancheur d’une vomissure apatride qui plonge le récit dans une tornade de trouvailles excitantes. La folle du logis bat la cambrousse au gré de contes merveilleux et autres palabres hilarantes qui sont comme la légende du genre humain. Notre nouvelle héroïne incandescente se nomme Etincelle.
pour Les Inrockuptibles
Lutz Bassmann
Black Village (Verdier)
C’est un trio étrange : deux hommes et une femme en guenilles, poètes, anciens membres du “service Action”, une sorte de résistance, cheminent “dans l’obscurité qui suit leur décès”. Purgatoire ? Limbes des “non existants” ? Avec ce nouveau roman signé sous pseudo, Antoine Volodine repousse une fois de plus les limites de la fiction. L’histoire est racontée par trente-cinq narrateurs, un nouveau pour chaque chapitre, créant des correspondances comme autant d’étoiles d’une même galaxie. Un véritable tour de force, jouissif et brillant.
Arno Bertina
Des châteaux qui brûlent (Gallimard)
Un secrétaire d’Etat est séquestré par les salariés d’un abattoir en liquidation judiciaire. L’usine devient microcosme, huis clos où gronde la voix des laissés-pour-compte. La colère est prête à éclater, l’insurrection restant, malgré son issue a priori funeste, un horizon désirable. Récit haletant, implacable et terrible, ce thriller de la France d’aujourd’hui dérange par son immoralisme : le lecteur ne cesse de balancer entre crainte et espoir que le pire arrive à l’otage-ministre. Le grand roman politique de la rentrée.
Eric Reinhardt
La Chambre des époux (Gallimard)
Eric Reinhardt nous raconte le roman qu’il voulait écrire lorsque, travaillant alors sur Cendrillon, sa femme luttait contre un cancer du sein : l’histoire d’un musicien qui compose une symphonie quand sa femme lutte contre la maladie. Une vertigineuse mise en abyme qui permet au lecteur ébahi d’entrevoir le fonctionnement troublant de l’autofiction, et à l’auteur d’aborder le sujet complexe des conséquences de la maladie dans l’intimité d’un couple, du point de vue de l’époux.
Thomas Flahaut
Ostwald (Editions de l’Olivier)
Quand un tremblement de terre frappe la région de Belfort, où se trouve la centrale nucléaire de Fessenheim, l’événement prend vite des proportions de catastrophe sans précédent. Menés vers des camps de réfugiés par des militaires, Noël et son frère sont tentés de prendre la fuite. Un premier roman frappant de maîtrise et de concision.
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