Après une année mouvementée dans la rue, ces dix essais témoignent de la vitalité de la critique sociale et politique.
Ivan Jablonka “Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités” (Seuil)
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En 2016, Ivan Jablonka s’interrogeait sur la violence du monde social (envers les femmes) dans Laëtitia ou La Fin des hommes (prix Médicis). Il poursuit cette réflexion dans une fresque historique, des origines du patriarcat à l’émergence de “nouvelles masculinités” : “Une fois diagnostiquée la fin des hommes, on peut les faire renaître sous les traits d’hommes justes”, écrit-il. Dans cet essai en forme de manifeste politique, il plaide pour l’avènement “d’hommes égalitaires, hostiles au patriarcat, épris de respect plus que de pouvoir”.
Et si la solution à nos angoisses de fin du monde se trouvait dans des œuvres de fiction apocalyptiques ? C’est l’hypothèse stimulante du professeur de littérature comparée Jean-Paul Engélibert. En s’appuyant sur un corpus constitué de romans (Robert Merle, Margaret Atwood, Antoine Volodine…), de films (Melancholia de Lars von Trier, 4 : 44 Last Day on Earth d’Abel Ferrara…) et de séries (The Leftovers), il démontre que les scénarios de l’effondrement contiennent les germes d’un autre monde possible.
Thomas Piketty “Capital et Idéologie” (Seuil)
Ce sera l’événement de la rentrée : après Le Capital au XXIe siècle (2013), vendu à 2,5 millions d’exemplaires dans le monde, l’économiste publie un deuxième pavé de 1200 pages. Dans cette histoire transnationale des systèmes inégalitaires, il montre comment le discours méritocratique et entrepreneurial se craquelle sous l’accroissement des inégalités sociales et économiques. Contre le repli identitaire et nationaliste qui en résulte, il esquisse les contours d’un nouveau socialisme participatif pour le XXIe siècle.
Arlette Farge “Vies oubliées” (La Découverte)
Premier opus de la collection A la source dirigée par Clémentine Vidal-Naquet, Vies oubliées est en tout point iconoclaste. Il se compose presque exclusivement d’archives du XVIIIe siècle : lettres d’amour, chansons, testaments… Ces fragments pleins de surprises laissent entrevoir des êtres singuliers, témoins d’une époque qui les dépasse. Dans le sillon de La Vie des hommes infâmes de Michel Foucault (1977), Arlette Farge se fait passeuse d’une humanité commune.
Avocat au barreau de Paris, défenseur de plusieurs Gilets jaunes et d’activistes victimes de la répression d’Etat, Raphaël Kempf analyse finement la fabrique des lois scélérates adoptées en 1893 et 1894 contre les anarchistes, “mais qui ont frappé bien au-delà”. Accompagné de trois textes d’époque, de Léon Blum, Emile Pouget, et Francis de Pressensé, cet essai montre “à quoi peut ressembler un front commun anti-autoritaire, associant littérateurs, militants du mouvement ouvrier, journalistes et juristes”. A bon entendeur.
Manon Ott “De cendres et de braises. Voix et histoires d’une banlieue populaire” (Anamosa)
Pendant sept ans, la cinéaste et chercheuse en sciences sociales Manon Ott s’est immergée dans les quartiers HLM des Mureaux. Elle en tire un livre sensible, accompagné d’un film éponyme qui sort en salle le 25 septembre retraçant l’histoire de cette banlieue populaire au destin lié à l’usine Renault-Flins – l’un des phares de la grève de mai-juin 1968, qui compta jusqu’à 24 000 ouvriers. Un travail important sur des lieux et des histoires devenus invisibles.
Gérard Noiriel “Le Venin dans la plume. Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République” (La Découverte)
Il n’y a pas si longtemps, le discours raciste, sexiste et homophobe d’Eric Zemmour était cantonné à la marge. Désormais, il s’est démultiplié dans la presse écrite et audiovisuelle, jusqu’à produire un désagréable effet de larsen. Comment s’est-il imposé au sein des élites ? En comparant les écrits du polémiste à ceux du pamphlétaire antisémite Edouard Drumont, l’historien Gérard Noiriel apporte des réponses, et donne des pistes pour combattre ce venin.
Sarah Barmak “Jouir. En quête de l’orgasme féminin” (La Découverte)
Alors que l’orgasme est atteint systématiquement par 90 % des hommes, il ne l’est que par 16 % des femmes. Contre cette triste réalité, la journaliste canadienne Sarah Barmak met au jour dans cette enquête documentée des approches et des pratiques pensées par des femmes, pour des corps de femmes. Il en résulte un nouveau répertoire sexuel, et une nouvelle culture, qui ne fait pas de la pénétration vaginale l’alpha et l’oméga du plaisir. Un essai d’utilité publique.
Geneviève Fraisse “La Suite de l’histoire. Actrices, créatrices” (Seuil)
Historienne de la pensée féministe, Geneviève Fraisse décrit comment musiciennes, cinéastes, danseuses et comédiennes se sont battues pour s’imposer dans les arts et subvertir l’ordre existant. Malgré la révolution de 1789 et ses promesses démocratiques, il leur a fallu surmonter pendant deux siècles les entraves du patriarcat pour écrire la suite de l’histoire.
Michel Pialoux “Le Temps d’écouter. Enquêtes sur les métamorphoses de la classe ouvrière” (Raisons d’Agir)
Les éditions Raisons d’Agir ont eu la bonne idée de rassembler une dizaine de textes (jusqu’alors éparpillés ou inaccessibles) de Michel Pialoux. Auteur d’une œuvre de référence sur la classe ouvrière (dont plusieurs livres avec Stéphane Beaud), cet ethnologue du mouvement ouvrier aborde des sujets toujours brûlants – sous-prolétariat, syndicalisme, pauvreté urbaine – avec une acuité exemplaire. C’est pourquoi ce livre constitue “un voyage à rebours de l’histoire, grâce auquel le présent prend tout son sens”, comme l’écrit le sociologue Paul Pasquali dans sa préface.
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