Enfant terrible des surréalistes, René Crevel a laissé une œuvre confidentielle, brève et enflammée, comme ce pamphlet poétique paru en 1932.
On l’a dit dadaïste, mondain, homosexuel, tuberculeux, militant, révolutionnaire, toxicomane. Doté d’un charme vénéneux et envoûtant. Il s’est donné la mort à 34 ans, après s’être aperçu que les idées communistes ne seraient jamais en accord avec celles du surréalisme, dont il avait épousé la cause dès les années 1920 sous l’égide d’André Breton. La vie de René Crevel, né en 1900, rappelle ces trajectoires brèves et incandescentes des génies précoces – de Rimbaud à Radiguet – consumés à toute vitesse par leur révolte.
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Le Clavecin de Diderot, tout en acuité et en fulgurance polémique
Si son œuvre n’a pas marqué l’histoire littéraire officielle, se révélant parfois ardue, on continue de lire et admirer ses textes, rares par leur férocité, leur folie radicale et leur degré d’exigence. Conjointement à une œuvre romanesque mêlant action politique et autofiction (Détours, La Mort difficile, Mon corps et moi…), on dénombre quelques pamphlets, dont ce Clavecin de Diderot publié pour la première fois en 1932 et qui n’a rien perdu en acuité et en fulgurance polémique. Dans son viseur : la religion, l’intelligentsia bourgeoise, le monde universitaire, et même “ce cher Crotté de Barbey d’Aurevilly”. A tous, l’écrivain reproche la “manie analytique”, ineptie contre laquelle il prescrit un régime surréaliste : “Extraire des abîmes ce que l’homme avait sacré trésors (…) ; amener au monde des phénomènes par les moyens qui lui étaient propres (sommeil, transcription de rêves, écriture automatique, simulations de délires) ; remuer l’inconscient, jusqu’alors taupinière où les désirs de l’homme se recroquevillaient.”
Crevel dénonce les institutions et croyances de son époque dans un torrent d’injures au milieu duquel seuls Breton, Hegel et sa mère trouvent grâce à ses yeux. Dans le chapitre consacrée à celle-ci, il oublie provisoirement ces “salauds” pour ressusciter un épisode de jeunesse. La douceur de ce passage nimbé du souvenir d’une prof de piano au “chapeau à plumes on ne peut plus amazone” vaut à elle seule le détour et rachète bien des colères dans cet essai rageur et résolument singulier.
Le Clavecin de Diderot (Prairial), 144 pages, 11 €
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