Avec le polar « Polaris ou la Nuit de Circé », Fabien Vehlmann au scénario et Gwen de Bonneval au dessin abordent le sujet de l’érotisme vu comme un art. Éclaircissement avec Vehlmann sur une BD sexuelle et politique.
Polaris, avec son enquête autour d’un club libertin, se lit comme un récit policier. Pourquoi avoir choisi de faire de Jeanne, l’enquêtrice, une libertine ?
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Fabien Vehlmann – Gwen de Bonneval et moi nous nous sommes mis d’accord sur une intrigue policière. Il y a une trame et une résolution mais ce n’est pas ce qui nous intéressait le plus. Je trouvais important de montrer un personnage féminin qui assume ses désirs sexuels de manière totale. Quand je recueillais les témoignages de l’Herbier sauvage (livre illustré par Chloé Cruchaudet où des gens confient leur vie sexuelle, ndlr.), je me suis rendu compte qu’il y avait un cliché selon lequel les hommes auraient une libido plus exacerbée que les femmes. Alors que l’on m’a plusieurs fois raconté que, dans un couple, l’homme emmène sa femme dans un club échangiste parce que ça l’excite… mais c’est souvent la femme qui veut revenir, des fois au grand dam du mec ! Pour peu que ça soit des clubs échangistes féministes, ces endroits sont des espaces de liberté pour les femmes. D’assumer que Jeanne est flic mais aussi libertine, avide d’expériences sexuelles qu’elle assume, c’était en résonance avec des thématiques contemporaines qui se sont révélées encore plus pertinentes avec l’affaire Weinstein, #balancetonporc et #metoo.
Associer sexualité et art, comme dans Polaris, ça correspond à une réalité dans l’histoire du libertinage ?
On suggère que Klein, Buñuel ou Picasso et même Niki de Saint Phalle ont fait partie de Circé, le club libertin que l’on a imaginé. Mais c’est une pure invention. J’ai eu l’idée d’un OuSexPo, un Oulipo version cul où les membres d’un club se créent, le temps d’un jeu, des tabous éphémères. Une fois mon idée posée, je me suis retrouvé face à une page blanche. Les jeux, il fallait que je les invente et qu’ils tiennent la route. Ça ne pouvait pas être : « tire un dé, si c’est un 6, je te fais un cunnilingus ». J’ai commencé à interroger les libertins et échangistes de mon carnet d’adresse. Il s’avère que ces milieux-là, tout en étant très ouverts, ont des pratiques très codifiées – le « côte-à-côtisme », le « 2+2 », le « mélangisme », etc. – mais pas très inventives. En cherchant du côté du l’érotisme créatif, je suis tombé sur une association qui organise un festival, L’EroSphère. J’ai proposé à ses membres de relire les règles des jeux que j’avais inventées. Ils m’ont dit : « on va faire mieux, on va tester tes jeux ». Ils ont organisé une soirée avec une douzaine de personnes. De cette soirée, sont sortis gagnants des jeux comme « l’énigme du Sphinx ». D’autres sont retombés comme des soufflés ratés. Et puis il y eu les cobayes de l’ « érosismogramme », deux journaux intimes érotiques que l’on va accoler et lire ensemble.
Est-ce un enjeu de faire de la BD érotique aujourd’hui ?
Je crois important en tant qu’auteur de prendre en main les sujets brûlants du moment. Aujourd’hui, il y a la résurgence de tabous que l’on pensait dépassés et qui reviennent… Est-ce forcément un mal ? A travers les membres de Circé, je partage des thématiques qui me sont chères, sans forcément être d’accord avec ce qui est dit, loin de là. Un personnage expose ainsi le fait qu’il n’a pas envie d’être dans le carcan moral de l’avant-1968, ni de tomber dans le côté permissif post-soixante-huitard, qui tient un peu du consumérisme. Je peux comprendre que des personnes ne vivent pas bien la permissivité. Alors que je pensais que la libération sexuelle était plutôt vue comme quelque chose de positif, elle a aussi un coût psychique. « Est-ce que je suis toujours obligé(e) de transgresser ? Est-ce que la sexualité c’est forcément aller de plus en plus loin ? » Si on va dans les tréfonds d’internet, on tombera sur des choses abominables. Que des gens n’aient pas envie d’aller si loin, je le conçois, après ce sont peut-être les mêmes qui veulent revenir à l’avant 1968 et, ça, je le conçois moins.
Un personnage de Polaris considère que la sexualité est la dernière utopie sociale. Qu’en pensez-vous ?
A titre personnel, je n’en suis pas sûr parce que la sexualité est, comme beaucoup de choses, inféodée à la société. Reste quand même, que, pour beaucoup pour de personnes, ça reste un espace de liberté. Comme exemples, il y a le chef d’entreprise qui va se faire dominer, la personne qui se dit opposée à l’homosexualité et qui va dans des clubs gays. Un cas que j’ai rencontré pour l’Herbier sauvage est celui de féministes militantes qui aiment être soumises dans leur sexualité. J’aime assez cette idée d’un espace de fantasme qui doit être préservé du moment qu’il y a consentement.
Ça n’est toujours pas le cas dans les clubs échangistes ?
Dans le cercle fictif de Polaris, le consentement des femmes est la pierre angulaire. C’est maintenant le cas dans les clubs échangistes mais, si j’en crois l’ami Jean-Louis Tripp, auteur du livre Extases, ce n’était pas le cas il y a quinze ans. La fois où je suis allé dans un club échangiste, il y a trois ans, cette notion de consentement était centrale. Si un homme avait du désir pour une femme, il lui posait la main sur l’épaule. Si elle n’était pas intéressée, elle posait sa main sur la main de l’homme pour le remercier de son intérêt puis doucement l’enlevait. Après, ça n’empêche pas les vexations : j’ai vu un homme se faire prendre ce que j’appelle une partouze-veste. Il y a des fois où c’est clair il n’y a pas de consentement. Se rendre compte de la part des hommes qu’il peut y avoir abus de pouvoir c’est l’enjeu principal de #metoo et je m’inclus là-dedans.
Prévoyez-vous de continuer à écrire sur l’érotisme ?
Il y aura un 2e tome de l’Herbier sauvage en février 2019. Sinon, je crois que Polaris peut ouvrir une porte de réflexion sur l’invention érotique. Qu’on ne laisse pas le monopole de la sexualité à la pornographie qui, quelque part, impose sa vision. A petite dose, ce n’est pas forcément néfaste mais, à haute dose, ça peut devenir toxique. Réinventer l’érotisme par des règles du jeu dépasse amplement le cadre de Polaris. Il n’y a pas de raison, pourquoi n’y mettrait-on pas de l’intelligence et de la créativité ? Parmi les gens que j’ai rencontrés dans le milieu alternatif du sexe, j’ai parfois eu une impression de vacuité. On sent que certains s’essoufflent dans leur quête, qu’est-ce qui apportera leur prochaine dose d’adrénaline ? Ça serait passionnant qu’il y ait aussi cette réflexion dans les milieux BDSM, kinky, queer.
Gwen de Bonneval et Fabien Vehlmann, Polaris ou la Nuit de Circé, éditions Delcourt, 160 pages, 19,99€
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