En France, elle a été une des premières dessinatrices à proposer de la BD politique et féministe. Rencontre avec une autrice influente et pionnière au moment où ressort “Sorcières, mes sœurs”.
Rare autrice à avoir participé à l’aventure Métal Hurlant mais aussi à la revue Ah ! Nana, Chantal Montellier a été l’une des pionnières en France de la BD féministe et politique. Dans les années 1980, elle s’intéressait déjà à la figure des sorcières avec les histoires de Sorcières, mes sœurs qu’elle ressort, en partie redessinées. Elle a aussi œuvré pour une meilleure représentation des dessinatrices en lançant il y a 15 ans le prix Artemisia.
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Pour vous, la bande dessinée a toujours été un medium politique, comment est-ce arrivé ?
Chantal Montellier – Je suis née politiquement, voire intellectuellement, en 1968. Ça laisse des traces ! Quand je me retrouve prof d’arts plastiques, un de mes collègues s’occupe de la revue Le Combat syndicaliste et me propose d’y dessiner. Au bout d’un moment, je démarche d’autres rédactions comme celle de L’Humanité. Alors que l’univers des profs était mixte, celui de la presse, pas du tout. Mais je me suis acharnée et mon travail a été reconnu. Ce que je faisais était particulièrement virulent, pour ne pas dire radical.
Logiquement, vous intégrez Ah ! Nana (1976-1978), revue de BD française presque totalement conçue par des femmes.
J’accepte de participer à cette aventure féminine, un journal de sorcières qui est brûlé au neuvième numéro pour une pornographie qu’il ne contenait pas. Enfin, on n’a pas été brûlé en place publique, il y a un autre moyen, plus moderne, celui de l’invisibilisation. La revue a été interdite à la vente aux mineurs, puis d’affichage. Si j’avais eu voix au chapitre – les dessinatrices ne participaient pas aux conférences de rédaction –, j’aurais insisté pour que les unes soient moins racoleuses et bêtement provocatrices.
Dans Ah ! Nana, vous inventez le policier corrompu Andy Gang.
Je lisais la presse et je voyais sans arrêt passer le nom d’un même policier qui commettait bavure sur bavure. Convoqué par la police des polices, il en ressortait chaque fois avec les honneurs. Rétrospectivement, je regrette un peu, j’aurais dû amener du féminin. En raison de mon histoire familiale, à l’époque, je m’identifiais plus aux hommes qu’aux femmes…
Comment êtes-vous devenue une autrice féministe ?
J’ai souvent été agressée, y compris sexuellement. Les insinuations, les plaisanteries douteuses, le pelotage dans les couloirs et l’inégalité des salaires… Être infériorisée devenait usant. Je suis allée sur ce terrain parce que l’on m’attaquait, je suis devenue féministe par nécessité.
Vous avez été ensuite l’un des piliers du magazine Métal Hurlant (1975-1987). Quels souvenirs en gardez-vous ?
Philippe Manœuvre, qui était un bosseur, ne me traitait pas trop mal mais j’étais plutôt mal à l’aise. En général, je déposais mes planches sur le bureau du rédac chef et, le temps qu’il contrôle tout, j’allais me réfugier chez la secrétaire, Isabelle. Culturellement, il y avait un hiatus complet. Moebius était gentil mais j’allais parler de quoi avec lui ? Des ovnis ?
Quand les autres comme Moebius ou Druillet exploraient l’espace et l’imaginaire, vous préfériez la BD d’anticipation froide dans des univers totalitaires.
Avec 1996, Wonder City et Shelter, je suis partie sur des dystopies parce que j’étais passionnée par Orwell, Huxley, les films Soleil vert, Fahrenheit 451. C’était aussi le début de la casse industrielle. Saint-Étienne, d’où je viens, se retrouvait capitale du chômage. Dans Métal Hurlant, j’étais la seule à apporter une critique sociale. Un producteur vient d’ailleurs d’acheter les droits de Shelter Market, la 2e version de Shelter, pour en faire une série pour France Télévisions. Cela raconte un confinement dans un supermarché géant servant d’abri antiatomique, pas loin de ce que l’on vient de vivre ces dernières années où il ne restait que la consommation, le fait de manger et de regarder des films ou des séries…
Avec Odile et les crocodiles (1984), dans lequel une femme victime de viol élimine des prédateurs sexuels, vous avez été une pionnière de la BD féministe…
Le problème c’est que, justement, j’ai été trop pionnière mais pas acceptée. Claire Bretécher avait, elle, tout ce qu’il fallait pour être adoubée. Mais le côté politique de ce que je racontais a été un sacré handicap. On n’était pourtant pas dans l’Amérique de McCarthy, la France était à gauche, le féminisme avait le vent en poupe… Mais, dans le milieu un peu infantile de la BD, ils me vivaient comme une agression, je gâchais la fête. J’avais aussi été invitée à l’émission Apostrophes de Bernard Pivot pour parler de nucléaire, et j’avais dit exactement ce qu’il ne fallait pas. Après, j’ai eu l’impression d’être blacklistée, on a commencé à me pourrir la vie.
Dans les années 1980, vous publiez les histoires courtes de Sorcières, mes sœurs. Comment vous êtes-vous intéressée à la figure de la sorcière ?
Grâce à une biographie d’Anne Delbée, j’ai découvert Camille Claudel et j’ai été bouleversée. Après six ans de Beaux-Arts, je n’avais jamais entendu son nom ! Car oui, les hommes effacent les noms de leurs victimes. Je lisais aussi Les Mots, la Mort, les Sorts de l’ethnologue Jeanne Favret-Saada, Sorcières, la revue de Xavière Gauthier… La figure de la sorcière est aussi présente chez Duras et Beauvoir. Pour les femmes, ça représente un traumatisme. En 2002, à Vitry, un homme a arrosé d’essence Sohane Benziane, 17 ans, et l’a brûlée… On brûle toujours facilement les femmes.
Vous avez cofondé avec Jeanne Puchol le prix Artemisia qui récompense les autrices de BD. Comment jugez-vous son influence ?
Avant, quand je demandais aux éditeurs pourquoi il y avait si peu de dessinatrices, on me répondait : “Les BD de de femmes ne se vendent pas.” Encore faut-il qu’elles soient publiées pour qu’elles se vendent et qu’elles soient mises en lumière. Aujourd’hui, les éditeurs reconnaissent tous l’utilité du prix Artemisia.
Propos recueillis par Vincent Brunner.
Sorcières, mes sœurs (La Boîte à Bulles), 80 p., 19 €, en librairie le 9 mars.
Cérémonie de remise du prix Artemisia le 8 mars avec séance de dédicace à la galerie Huberty & Breyne, 4 rue de Miromesnil, Paris 8e, de 17 h à 20 h 30.
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