Que lire cet été ? Six écrivains nous donnent leurs conseils de lecture.
Eric Reinhardt : Les rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau.
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« Les plus beaux étés sont ceux qui restent associés à jamais à des livres que l’on a lus et aimés, à des auteurs que l’on a découverts. Il y a quelques années, au terme d’un bref séjour en Provence, n’ayant plus rien à lire, j’ai cherché dans la bibliothèque de mes amis un livre que je pourrais commencer dans le TGV. Il y avait peu de choses qui me tentaient, j’ai choisi Les Rêveries du promeneur solitaire en me disant qu’il était curieux de n’avoir encore jamais lu ce livre, un livre avec un titre aussi sublime, un livre majeur du patrimoine littéraire français. J’ai commencé la lecture des Rêveries à peine installé dans le train et ne me suis pas interrompu un seul instant pendant les deux heures quarante du trajet, émerveillé, abasourdi par tant d’intelligence et de beauté, de puissance, de délicatesse. Arrivé à Paris, la première chose que j’ai faite a été de me précipiter dans une librairie et j’ai acheté pour la suite de mes vacances les deux tomes des Confessions. Et voilà qu’à la faveur du plus grand des hasards, cet été-là est devenu, par la grâce du génie pur d’un homme, Jean-Jacques Rousseau, l’un des plus beaux de toute ma vie. Jean-Jacques Rousseau, dont j’ai alors découvert, car je l’ignorais, à quel point il était actuel, moderne, de par la radicalité proprement stupéfiante, proche parfois de la démence, alimentée par la haine dont il était l’objet, avec laquelle il avait investi ce qu’on appellerait aujourd’hui l’écriture de soi, ou l’autofiction (où il atteint des sommets inégalables dans Rousseau juge de Jean-Jacques, qu’il faut ajouter aux trois autres). Ah, que c’est bon, l’été, dans un jardin, de se laisser aspirer par une œuvre d’une telle force, d’une telle folie, d’une telle démesure, sans avoir rien d’autre à faire que d’en jouir… Il n’est nul besoin d’aller bien loin pour rendre sublime le voyage que l’on entreprend, dès lors que l’on décide de glisser dans sa valise ces quatre volumes-là, je vous le garantis (je le dis pour tous ceux qui seraient un peu tristes, cette année, de ne pas partir loin). »
Lydie Salvayre : Prendre dates de Boucheron et Riboulet
« Pour repousser l’oubli qui est l’autre nom de l’indifférence, et mettre en mots ce qui eut lieu le 7 janvier qui s’appelle l’Histoire: un texte bref, écrit à deux (car mieux vaut se mettre à plusieurs si l’on veut lever les vraies questions, celles que l’on reconnaît au fait qu’elles embarrassent, et, courageusement, tenter de penser le présent, surtout lorsqu’il fait peur), Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, l’un historien, l’autre écrivain, les deux magnifiques d’intelligence et de délicatesse avec ce qu’il faut de colère. Le livre a pour titre Prendre dates. Il est publié aux Editions Verdier. »
Marie Darrieussecq : Le Rêve de Zola
« Un roman allumé. Zola qui a pris des produits. Une variation psychédélique sur la Légende des Siècles. Une brodeuse qui a des hallu. Une chute vers le haut, un décollage avant les avions. Une fille toute seule qui rêve le monde. Une mise à mort de la religion. Une maniaquerie sur l’art de la broderie (termes techniques à l’infini, pages entières de syllabes dans une langue alien avec un rythme de rave avant l’heure). Un Zola dans les champs, isolé, sublime. Un vrai gros roman de plage à suspens. Va-t-elle l’épouser ou pas ? Do miracles really happen ? »
Régis Jauffret : L’Ascendant de Alexandre Postel
« Un court roman qui conte l’histoire d’un banal employé dans un magasin de téléphonie dont le père vient de décéder. Il est son seul héritier. C’est un grand malheur parfois d’hériter. La maison du père possède une cave. Méfiez-vous des caves. Depuis quelques années, je ne mets plus un pied dans une cave. J’ai même déménagé l’an dernier pour habiter désormais un immeuble au sous-sol noyé sous une coulée de béton. »
Aurélien Bellanger : Madame Bovary de Gustave Flaubert
« Autant Proust exagère en faisant de l’usage du passé défini chez Flaubert une révolution comparable à celle de la relativité restreinte, autant Nabokov a raison, je crois, de tenir Madame Bovary pour l’unique exemple connu d’un roman poétique. Il supporte en tout cas, presque seul, ces deux lectures concurrentes, se lisant à la fois rapidement comme un roman de gare, presque comme un féminin de kiosque, en même temps qu’il s’épaissit sans s’alourdir, dès qu’on en ralentit la lecture — c’est le seul cas connu d’un livre qui s’adapte à son lecteur. Aux beautés romanesques, normandes et ironiques succèdent alors, effectivement, des beautés syntaxiques à peu près pures, qui tiennent rarement à plus de chose qu’à la place d’une virgule, au choix d’une conjugaison ou d’un terme presque impropre, jusqu’au fatal, et délicieux : ‘Elle n’existait plus.’ de la fin. »
Edouard Louis : Un autre de Imre Kertész
« Un autre est le journal, superbe et bouleversant, d’un homme qui se voit devenir ce qu’il n’est pas, qui sent un rôle social, une identité s’emparer de lui et qui décrit sa lutte pour créer des moments de fuite et des espaces de résistance à l’intérieur desquels il peut exister et où il peut s’inventer autrement. Dès son arrivée au monde il est nommé par les autres, par l’extérieur, nommé comme juif, exclu, puis déporté à Auschwitz. Comment exister en dehors des rôles qui s’abattent sur nous ? Quelle liberté peut-on imaginer pour l’individu seul face au monde ? »
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