Faut-il publier les trois pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline, restés longtemps interdits ? C’est la décision prise par Gallimard, qui annonce une parution en mai 2018.
“Allons tout de suite au fond des choses. Les Démocraties veulent la guerre. Les Démocraties auront la guerre finalement. Démocraties = Masses aryennes domestiquées, rançonnées, vinaigrées, divisées, muflisées, ahuries par les Juifs au saccage, hypnotisées, dépersonnalisées, dressées aux haines absurdes, fratricides. Perclues, affolées par la propagande infernale youtre : Radio, Ciné, Presse, Loges, fripouillages électoraux, marxistes, socialistes, larocquistes, vingt-cinquième-heuristes, tout ce qu’il vous plaira, mais en définitive : conjuration juive, satrapie juive, tyrannie gangrenante juive”, écrivait Louis-Ferdinand Céline dans L’Ecole des cadavres (1937), l’un de ses trois pamphlets antisémites, dont Bagatelles pour un massacre (1937) et Les Beaux Draps (1941), violents appels à la haine raciale et au meurtre, torrents dégueulasses de haine paranoïaque, délire de pure propagande antijuive dans une époque qui aboutira à l’extermination de six millions de Juifs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Des brûlots trouvables dans n’importe quelle librairie d’’extrême droite
Ce sont ces textes-là que Gallimard, devenu l’éditeur de Céline quand celui-ci rentre en France en 1951 après s’être réfugié au Danemark (condamné par contumace, il y purgera une peine d’un an de prison), s’apprête à rééditer en mai 2018, accompagnés d’un appareil critique solide, nous promet-on, sous le titre d’Ecrits polémiques. Mais fallait-il, ou non, envisager la republication de tels brûlots, notamment à un moment où notre société connaît des vagues d’antisémitisme ?
C’est la question que nous posions déjà en 2011, dans un dossier (lire ici) qui avait fait la couverture des Inrocks. Pour mener l’enquête, nous avions dû nous procurer les pamphlets interdits, et pour cela, il nous avait suffit de pousser la porte de n’importe quelle librairie d’extrême droite où ces volumes se trouvaient en vente libre, publiés par les Editions de la Reconquête, alors basées en Amérique du Sud. Aujourd’hui, Bagatelles pour un massacre et L’Ecole des cadavres sont vendus sur Amazon, publiés par une autre obscure maison d’édition, Omnia Veritas, sans avertissement ni mise en garde d’aucune sorte, sans les commentaires et notes critiques que Gallimard s’engage à inclure dans sa réédition.
De la propagande plus que de la littérature
C’est peut-être la raison pour laquelle, même si ces textes peuvent être dangereux, même si la décision de Gallimard peut poser question, il est nécessaire qu’un véritable éditeur s’en empare, moins pour légitimer ces écrits par la réputation de sérieux littéraire d’une grande maison (comme le craignent déjà certains), que pour les présenter enfin tels qu’ils sont : de la propagande plus que de la littérature, de la saloperie antisémite plus que des vérités.
D’autre part, parce qu’il serait temps que Louis-Ferdinand Céline ne soit plus blanchi par l’omission de ces trois livres. Car c’est bien lui qui, en interdisant dès 1951 la réédition de ces textes (à sa mort en 1961, Lucette Destouches, sa veuve et légataire – 105 printemps aujourd’hui –, avait poursuivi sa requête. Elle viendrait de changer d’avis. Pourquoi ? Mystère), avait organisé sa propre opération d’auto-blanchiment.
“Ecrits antisémites”
Il serait bon que tous, surtout les fans de Voyage au bout de la nuit, découvrent, phrases sous les yeux, qui était profondément Louis-Ferdinand Céline – pas vraiment une victime, tel qu’il se présentait pourtant dans une interview accordée à Pierre Dumayet (voir le site de l’INA), avec le silence complice, assez incompréhensible, de Dumayet lui-même.
Ne pas rééditer ces trois pamphlets, c’est peut-être prendre le risque de faire le jeu de Céline lui-même, qui comptait sur le temps pour que chacun les oublie, et pour que les générations futures en entendent à peine parler, ne retenant de lui que son chef-d’œuvre, Voyage au bout de la nuit, ou encore Mort à crédit.
En revanche, le titre choisi par Gallimard pour le volume qui rassemblera ces textes semble un peu falot par rapport aux ordures qu’ils contiennent. Pourquoi pas, tout simplement, l’intituler “Ecrits antisémites” ? Ce serait plus proche de la réalité, et sur l’antisémitisme, à l’origine de tant de massacres, de morts et de ravages, il n’y a pas à polémiquer, seulement à le condamner.
{"type":"Banniere-Basse"}