Alors que la campagne pour la présidence américaine bat son plein, il est question dans les débats de savoir ce qu’est vraiment l’Amérique, ce qu’elle représente ou devrait représenter. Dans ce climat politique tendu où il est parfois expliqué qu’elle doit retrouver sa grandeur, Brian Wood, auteur de comic-books, s’attaque à un épisode fondateur de l’histoire de son pays, qu’il entend se réapproprier : la guerre d’indépendance.
Il serait difficile de compter tous les films, les livres, les chansons, qui dissertent sur la question de ce qu’est vraiment l’Amérique, de ce qu’elle représente. Au centre de la vision idéalisée, et parfois très personnelle, que chaque Américain a de son pays, il y a une histoire, bien particulière, dont tout découle : celle de la déclaration d’indépendance et de la guerre qui a opposé la couronne britannique aux insurgés continentaux. C’est ce sujet qu’a décidé d’aborder Brian Wood dans Rebels, qui a commencé à paraître en avril 2015 et dont le recueil, qui compile les 10 numéros de la série, est sorti aux Etats-Unis début mai chez Dark Horse. Elle suit le parcours de plusieurs personnages durant cette guerre d’indépendance initiée en 1775.
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Cette période est charnière dans la constitution de l’identité américaine et les histoires qui en découlent sont souvent désignées comme étant des « mythes fondateurs ». Une appellation qui ne serait d’ailleurs pas totalement exacte pour Elise Marienstras, historienne, auteure de Les mythes fondateurs de la nation américaine: essai sur le discours idéologique aux États-Unis à l’époque de l’indépendance, 1763-1800. « Ce ce ne sont pas de vrais mythes mais plus des fabulations, qui jouent le rôle de mythes fondateurs, explique-t-elle. Ils ont été créés par les politiques, les pasteurs, les écrivains de l’époque. Ils ont tous concouru à légitimer ce qu’ils faisaient, à légitimer l’existence de cette nation ». Au centre de cette réflexion, l’idée qu’un peuple ne peut pas être opprimé par un pouvoir central, car celui-ci doit être libre et souverain.
Des personnages masculins, féminins, blancs, noirs et amérindiens
Et c’est cette notion qui anime la série de Brian Wood. Celle-ci raconte notamment le parcours d’un rebelle, soldat de la milice du Vermont, les Green Moutain Boys, de sa petite enfance jusqu’à son engagement dans le conflit au côté d’hommes plus ou moins illustres. Le lecteur suit aussi le parcours de femmes, militantes, au foyer, soldates, qui prennent part au conflit d’une manière ou d’une autre ainsi que l’histoire d’un natif du peuple Shawnee. On assiste aussi à la confrontation entre Seth Abbott, l’un des héros, qui explique que les habitants des colonies sont réduits en esclavage par les anglais, et un soldat noir, ancien esclave à qui les anglais ont promis la liberté.
« Le concept de Rebels est de montrer cette histoire d’une nouvelle façon à travers le regard et l’expérience de gens normaux, explique Brian Wood. Ce qui inclut évidemment des citoyens de tous genres et origines ethniques, aussi divers que l’Amérique était à l’époque ». Ainsi la première partie de l’histoire, centrée sur le parcours de Seth Abbott, comporte quasi exclusivement des personnages masculins et blancs. « Celles qui suivent sont plus diverses tant dans les personnages que les lieux », détaille Brian Wood. Une histoire est même dédiée à un soldat anglais loyal à la couronne, venu des Îles britanniques pour se battre contre les révolutionnaires. C’est l’un des passages les plus touchants et durs du recueil. « J’avais l’impression qu’il était juste et légitime d’écrire un chapitre du point de vue de l’autre camp. Et les parallèles avec le monde actuel sont difficiles à ignorer : on parle d’un soldat moyen envoyé loin de chez lui pour tuer des gens au nom de raisons politiques », justifie l’auteur.
Ainsi en multipliant les histoires, les points de vue, l’auteur densifie le mythe et réussi à montrer que cette révolution n’a pas été qu’une affaire d’homme caucasiens, mais a aussi vu des femmes et des non blancs mettre leur vie en jeu, pour un camp comme pour l’autre. Brian Wood explique avoir fait des recherches intensives et s’être servi d’archétypes aperçus ici et là. « L’histoire du soldat anglais est ma fictionalisation de l’expérience de guerre d’un militaire qui avait été inculpé pour le massacre de Boston en 1770, détaille l’auteur. Certains éléments de la vie de Seth Abbott sont issus de ma propre vie. Ça varie, j’utilise ce que je peux, ce qui semble le mieux ».
Rebels est une série intéressante prise dans son ensemble. Cependant les différents chapitres qui la composent ne sont individuellement pas tous aussi réussis les uns que les autres. Reste qu’ils permettent d’avoir une vision nouvelle d’un conflit important mais éloigné de nous, aussi bien dans le temps que dans l’espace.
Une bande dessinée avec une intention politique claire et avouée
Il apparaît aussi clairement, au fil de la lecture, que Brian Wood s’est investi personnellement dans l’écriture, une posture militante apparaissant sans trop d’ambiguïté derrière les planches. Pas forcément vis-à-vis des présidentielles et du candidat Trump cependant, même si le recueil est sorti en pleine course à la présidentielle aux Etats-Unis, presque comme pour faire une mise au point. « Honnêtement, cette histoire pourrait s’appliquer à l’état politique des Etats-Unis à n’importe quel moment de ma vie, explique Brian Wood. Le contentieux politiques remontent à la naissance même de ce pays. Pour une raison que j’ignore, c’est à ça que ressemblent la politique et le changement social en Amérique ».
Le message qu’essaie de passer Brian Wood est assez étonnant venant de la part d’un auteur qu’on imagine (et qui revendique volontiers) être de gauche, celui-ci se réclamant d’un certain patriotisme. « J’essaie d’expliquer qu’il n’y a par essence aucun mal à être patriote et à aimer l’idée de l’Amérique ». Pour l’auteur, le patriotisme ne fait pas nécessairement le bigot ou l’intolérant. « Quand Rebels a été annoncé, des personnes pensaient sincèrement que j’étais devenu un extrémiste de droite parce que je voulais raconter l’histoire de la fondation de l’Amérique d’une façon positive ». Mais peu importe pour l’auteur, qui ne cache pas sa sympathie pour Bernie Sanders et pour qui l’idée de l’Amérique est une « chose magnifique » dont l’histoire est « inspirante ».
Une volonté de se réapproprier l’histoire américaine
Les différents petits textes qui accompagnent les histoires dessinées donnent l’impression que Brian Wood (ainsi qu’une partie de la population américaine) pense s’être fait confisquer son histoire par une partie de l’établissement politique. « Je pense qu’elle a été récupérée par des forces cyniques, raconte-t-il, et de ce fait, ça peut donner l’impression qu’elle a été prise au peuple, c’est certain ». « Ce que dit l’auteur est juste, dit Elise Marienstras. Et il est vrai que, par exemple, Donald Trump va brandir Abraham Lincoln ou je ne sais qui et faire semblant de reprendre ses valeurs ».
Pour l’historienne, la récupération du mythe s’effectue des deux côtés du spectre politique, aussi bien par les républicains que les démocrates. Les uns brandissent les valeurs de liberté absolue et les grands noms de l’histoire (« à la façon d’un Sarkozy qui brandit Jaurès », glisse-t-elle) pour défendre la fameuse american way of life au prix parfois de conflits outre-mer tandis que les autres s’approprient des idées qui se veulent de gauche, plus humaines ou libérales. Même si la frontière est de plus en plus floue en raison du déplacement vers la droite de l’échiquier politique américain ces dernières années.
Des mythes contradictoires mais vitaux pour justifier le rêve américain
Pour l’historienne, ces mythes, qui ont été créés pour légitimer la naissance et l’avenir de la nation sont vitaux parce qu’ils permettent de justifier le rêve américain. « Le rêve américain c’est ce mythe d’une nation qui a un avenir, et un grand avenir. Une nation qui va devenir la plus puissante du monde » Une nation qui doit devenir une terre d’égalité, ou la condition des hommes sera la même pour tous. Ce qui est assez contradictoire, lorsque l’on regarde l’histoire de plus près. « Ils étaient esclavagistes et tuaient les indiens. Mais à part les indiens et les noirs, tout le monde était égal. Ils ont créé une république d’hommes blancs égaux, les femmes n’étant au départ pas non plus acceptées ».
A plusieurs reprises dans le livre, Brian Wood se réclame de « l’esprit de 76″ (année de la déclaration d’indépendance), ce souhait de liberté et d’égalité qui aurait poussé les colons soumis à la couronne à se rebeller. « Il y a une part d’utopie dans la vision de cette Amérique où les gens de 1776 sont des pionniers, le continent n’a pas été totalement découvert », analyse l’historienne. « Il y a une exaltation de la découverte, de la transmission de certaines valeurs. C’est l’époque des lumières. » Elise Marienstras parle d’un « rêve grandiose » qui tient un peu du religieux puisqu’il se rapproche d’une espèce de retour fantasmé au pays d’Eden.
Des mythes encore présents, fondateurs de la nation, qui restent attachés à celle-ci. « C’est une des différences entre l’Amérique de la France » détaille l’auteure, « La France a des mythes mais ce ne sont pas des mythes qui qualifient ‘la France’, tandis qu’aux USA, ce sont des mythes en ce sens qu’ils ont une part de vrai et une part d’utile, un peu fabriqués, exagérés, contradictoires ».
Xavier Eutrope
Pour l’instant uniquement disponible en version originale, Urban Comics publiera une traduction courant novembre 2016.
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